La revue à comité de lecture Transposition – Musique et sciences sociales lance un appel à contribution pour son numéro 8 sur le thème “Musique : Patrimoine Immatériel ?”.
Les propositions d’articles (~1500-2500 caractères espaces compris) devront être envoyées en français ou en anglais au plus tard le 1er février 2018, à l’adresse : transposition.submission@gmail.com. Les articles seront à remettre pour la fin du printemps.
Les détails de l’appel ce trouve ici : http://transposition.revues.org/1142
Nous encourageons les contributions provenant de chercheur-se-s, de professionnel-le-s de la musique et de professionnel-le-s du patrimoine, tous niveaux confondus.
Transposition. Musique et sciences sociales
http://transposition.revues.org/1142
N° 8 (2019) – Musique : patrimoine immatériel ?
Coordination : Elsa Broclain, Benoît Haug & Pénélope Patrix
En 2017, près d’un tiers des dossiers soumis à l’UNESCO pour une inscription sur les listes du Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité (PCI) présentent une composante musicale notable. Le rebetiko grec pourrait ainsi rejoindre plus de soixante-dix « musiques » – souvent articulées à des fêtes, danses, rituels, poésies, savoir-faire – dont le tango du Rio de la Plata, le shashmaqam en Asie centrale, le samba de roda brésilien ou encore l’artisanat et le jeu du tar en Azerbaïdjan. Les candidatures affluent depuis l’entrée en vigueur en 2006 de la Convention internationale pour la sauvegarde du PCI, qui a institué un nouveau paradigme patrimonial fondé sur les pratiques et les communautés plutôt que sur les monuments et les artefacts[1], dans la perspective des « nouveaux patrimoines » à dimension ouverte et participative[2]. Au-delà du giron des Nations Unies, cette nouvelle catégorie du « patrimoine immatériel » a infusé dans les lexiques et usages des inventaires nationaux, des politiques culturelles locales, des activités patrimoniales et muséales et dans les discours ordinaires, générant une diversité de modes d’appropriation et de contestation. Devant l’ampleur du phénomène, ce numéro de la revue Transposition propose d’explorer les spécificités de la musique dans le domaine du « patrimoine culturel immatériel », au sein du périmètre pratiqué par l’UNESCO et au-delà.
Que fait le « patrimoine immatériel » à la musique ? Et inversement, que fait la musique au « patrimoine immatériel » ? Malgré une « inflation éditoriale » des études sur la patrimonialisation depuis les années 1980, l’analyse des effets de ce nouveau régime patrimonial sur la musique n’en est qu’à ses débuts. De récentes études ont commencé à interroger les inflexions du sens et de la valeur attribués aux musiques « patrimonialisées », notamment dans le domaine anglophone où le music heritage prend la forme d’un champ spécifique[3]. Dans le domaine francophone, des travaux se sont concentrés sur les transformations engendrées par la labellisation, depuis la mise en spectacle et en tourisme des pratiques[4] à leur mise en mémoire et en exposition[5] en passant par la modification des rapports de pouvoir entre les différents types d’acteur-trice-s impliqué-e-s[6]. Mais la musique semble alors se dissoudre dans la réflexion plus générale sur le PCI, voire dans le large des processus de patrimonialisation, qui demandent pourtant à être repensés à l’aune des récents déplacements. Dans le sillage de ces études, Transposition propose donc d’interroger la singularité des interactions entre musique et « patrimoine immatériel », en portant une attention très particulière aux façons dont cette notion est pratiquée (voire contestée) sur le terrain.
Âprement débattue lors de la rédaction de la Convention, cette notion répondait en partie à la nécessité fonctionnelle d’une séparation des patrimoines de l’humanité en trois catégories (matériel, naturel et immatériel), correspondant à des divisions institutionnelles propres à l’UNESCO[7]. Une telle répartition n’est pas sans conséquences : plusieurs chercheur-se-s ont soulevé les problèmes épistémologiques et pratiques posés par cette nouvelle catégorie « paradoxale » sur le terrain[8], notamment en raison de la séparation artificielle qu’elle induit entre les dimensions matérielle et immatérielle de la culture[9]. Or la musique permet d’interroger cette division avec une certaine acuité, ne serait-ce que parce que la catégorie d’« immatérialité » renvoie à un héritage qui la situe du côté de l’esprit, voire de l’absolu[10] et de l’ineffable[11] – c’est-à-dire à une conception occidentale de l’expérience musicale, quand bien même l’UNESCO agit en vertu d’un prétendu « patrimoine de l’humanité » qui serait dans l’horizon de réception de tou-te-s. De fait, cette perspective universaliste entre en tension avec les spécificités locales des pratiques et formes symboliques qu’il s’agit de sauvegarder, tension que renforce la vocation de la Convention pour la sauvegarde du PCI à préserver la diversité des cultures contre les effets de la mondialisation[12]. Qu’implique donc le fait de mettre à un régime « immatériel » commun des musiques diversement ancrées dans des corps, des instruments, des objets et des lieux ? Comment les contextes performatifs, rituels et sociaux s’en trouvent-ils reconfigurés ? En somme, dans quelle mesure la catégorie de « patrimoine immatériel » peut-elle infléchir les imaginaires, conceptions et expériences locales de la musique, et par capillarité les théories vernaculaires et pratiques de création, de transmission, mais aussi de médiation ou de conservation ?
Se demander ce qu’est une musique pour celles et ceux qui la vivent au quotidien, que ce soit en la jouant, en l’écoutant, en la transmettant, en l’appréciant, en l’exposant, en l’archivant ou encore en la médiatisant, nous fait donc avancer en terres ontologiques. La dialectique entre matérialité et immatérialité peut dès lors s’arrimer opportunément à la question des supports et moyens matériels de la patrimonialisation musicale : le dispositif de l’UNESCO s’inscrit dans le sillage de processus de collecte et de conservation remontant au moins au xixe siècle, et tirant parti d’innovations technologiques – en premier lieu dans le domaine phonographique[13]. Loin de « dématérialiser » l’expérience musicale, les outils numériques lui confèrent de nouvelles matérialités et l’installent dans de nouveaux dispositifs de production et de réception. Ils permettent dans le même temps la constitution d’une archive sonore inscrite sur des supports inédits, renouvelant les pratiques de conservation, de collection et de mise en répertoire. Ils créent parfois, à rebours, des attachements nouveaux pour les objets, les reliques et les traces. La dialectique entre matérialité et immatérialité dans les processus d’exposition, de conservation et de transmission de la musique, et plus largement dans la diversité des pratiques musicales, mérite donc d’être interrogée à nouveaux frais.
Transposition fait appel au large spectre des sciences humaines et sociales pour investir cette réflexion critique sur les patrimonialisations musicales, prenant la diffusion croissante du paradigme du « patrimoine culturel immatériel » comme point de départ d’une analyse plus générale des articulations entre musique, patrimoine et immatérialité. D’études de cas en propositions théoriques, les contributions pourront s’organiser autour des axes suivants :
1. Musiques et « patrimoine culturel immatériel » : enjeux politiques et esthétiques. En prêtant attention aux spécificités de la musique dans ses interactions avec le paradigme du PCI, seront interrogés les effets sociaux, politiques, mémoriaux et esthétiques du label et des dispositifs afférents. Les contributions pourront notamment s’intéresser aux carrières de musicien-ne-s, aux stratégies d’appropriation, de détournement ou de contestation des dispositifs patrimoniaux, aux effets de la scénarisation et de la médiatisation sur les pratiques musicales et à leurs conséquences stylistiques. Pourront également être examinés les rapports de pouvoir entre acteur-trice-s de ces processus, les effets de légitimation, de reconnaissance et d’exclusion au sein de « communautés », ainsi que la façon dont les échelles locales, nationales et globales s’en trouvent redéfinies.
2. Patrimoines musicaux en question : histoire et renouvellement des pratiques patrimoniales. Il convient d’interroger l’idée-même de « patrimoine musical », ses présupposés et les valeurs qu’elle véhicule, en resituant son avatar le plus récent (le PCI) dans un processus historique de conservation, de régulation et de mise en valeur. Les propositions pourront s’intéresser à des façons plurielles (parfois concurrentes) de patrimonialiser la musique, et se demander comment les pratiques d’exposition, d’archivage et de médiation se sont vues modifiées par les technologies, idéologies et prescriptions patrimoniales. Dès lors, les vertus protectrices voire émancipatrices de ces dernières, de même que la légitimité qu’elles confèrent aux pratiques musicales, pourront être mises en balance des nouveaux cadres, formats, marchés, mais aussi des injonctions paradoxales à toujours plus de « tangibilité ».
3. Matérialité(s) et immatérialité(s) de la musique. En s’adossant à une distinction entre culture matérielle et immatérielle, le tournant du PCI invite à investir le champ épistémologique. Les processus de patrimonialisation sont en effet susceptibles de révéler et d’infléchir les catégories et théories vernaculaires par lesquelles les musiques sont qualifiées, pratiquées, appréciées et transmises. Questionner ces catégories et ce qu’elles mettent en jeu, en particulier dans la relation à d’autres strates de l’expérience (corporelle, instrumentale, poétique, rituelle, sociale, etc.), permettra de considérer différentes ontologies de la musique qui ne se structurent pas toutes autour d’une dialectique binaire entre le matériel et l’immatériel.
Outre les contributions scientifiques au dossier thématique, qui seront soumises à l’approbation du comité scientifique, la revue Transposition est ouverte à d’autres formats, qu’ils soient originaux ou déjà éprouvés dans la revue, dont celui de l’entretien (cf. https://transposition.revues.org). Le cas échéant, l’auteur-e prendra le soin de préciser qu’il/elle prétend à cette catégorie Varia.
Transposition accueille des publications en français et en anglais. Les propositions d’articles (~1500-2500 caractères espaces compris hors bibliographie) devront être adressées avant le 1er février 2018 à transposition.submission@gmail.com. Les articles seront à produire pour la fin du printemps.
Les auteur-e-s retenu-e-s pourront être invité-e-s à participer à une journée de travail organisée au cours de la période de rédaction des articles.
[1] KURIN, R., « Safeguarding intangible cultural heritage : key factors in implementing the 2003 convention », International journal of intangible heritage 2 (2007) ; BORTOLOTTO, C. (dir.), Le Patrimoine culturel immatériel : enjeux d’une nouvelle catégorie, Paris, MSH, 2011.
[2] AUCLAIR, E., FAIRCLOUGH, G., Theory and practice in heritage and sustainability : between past and future, Londres, Routledgen, 2015 (2e éd.).
[3] BRANDELLERO, A., JANSSEN, S., COHEN, S. & ROBERTS, L. (dir.), « Popular music heritage, cultural memory and cultural identity », International journal of heritage studies 20/3 (2014), p. 219-223 ; COHEN, S., KNIFTON, R., LEONARD, M. & ROBERTS, M. (dir.), Sites of popular music heritage, Londres, Routledge, 2015 ; BAKER, S., ISTVANDITY, L. & NOWAK, R., « The sound of music heritage : curating popular music in music museums and exhibitions », International journal of heritage studies 22/1 (2016).
[4] CAMPOS, L., « Sauvegarder une pratique musicale ? Une ethnographie du samba de roda à la World Music Expo », Cahiers d’ethnomusicologie 24 (2011) ; DESROCHES, M., DAUPHIN, C., PICHETTE, M.-H., SMITH, G. (dir.), Territoires musicaux mis en scène, Montréal, PUM, 2011.
[5] LE GUERN, P. (dir.), « Patrimonialiser les musiques populaires et actuelles », Questions de communication 22 (2012).
[6] SANDRONI, C., « Samba de roda : patrimonio cultural de humanidade », Estudos avançados 69 (2010), p. 373-388.
[7] KHAZNADAR, C., « Le patrimoine culturel immatériel : les enjeux, les problématiques, les pratiques », Internationale de l’imaginaire 17 (2004).
[8] BORTOLOTTO, op. cit.
[9] CIARCIA, G., La perte durable : étude sur la notion de « patrimoine immatériel », Paris, LAHIC / Mission à l’ethnologie, 2006.
[10] DAHLHAUS, C., Die Idee der absoluten Musik, Kassel, Bärenreiter, 1978 ; trad. fr., L’idée de la musique absolue, Genève, Contrechamps, 1997.
[11] JANKÉLÉVITCH, V., La musique et l’ineffable, Paris, Colin, 1961.
[12] UNESCO, 2003, Convention pour la sauvegarde du Patrimoine Culturel Immatériel, Paris, 17 octobre 2003 <http://unesdoc.unesco.org/images//0013/001325/132540f.pdf>.
[13] STERNE, J., The audible Past : cultural origins of sound reproduction, Durham, Duke University Press, 2003 ; trad. fr., Une histoire de la modernité sonore, Paris, La Découverte/Philharmonie de Paris, 2015.