Disparition. Bernard Lortat-Jacob (01 janvier 1941-18 juillet 2024)

Disparition. Bernard Lortat-Jacob (01 janvier 1941-18 juillet 2024)

La Sfe a la tristesse d’apprendre la disparition de son fondateur, Bernard Lortat-Jacob (1941-18 juillet 2024), qui nous a quittés à l’âge de 83 ans.
Directeur de recherche au CNRS et responsable du Laboratoire d’ethnomusicologie du Musée de l’Homme de Paris, il assura au Ministère de la Culture le développement des musiques traditionnelles à la Direction de la musique ; il fut nommé Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres, et créa la Société française d’ethnomusicologie. Durant plus de vingt ans (1987-2008), il fut responsable du doctorat d’ethnomusicologie à l’Université de Paris X-Nanterre-La Défense où il ouvrit l’ethnomusicologie à des domaines voisins (acoustique, linguistique et psychologie cognitive). Il coordonna de nombreuses publications couvrant des problématiques d’anthropologie et de musicologie générale.
il s’est consacré à l’étude de musiques rurales de Méditerranée pendant plus de quarante ans (Berbères du Maroc, Sardaigne, Roumanie et Albanie méridionale), et a démontré le rôle essentiel de la musique dans les fêtes collectives du Haut-Atlas ; en analysant les chants de la Semaine sainte en Sardaigne, il révéla les mécanismes sociaux et musicaux permettant de comprendre « ce que chanter veut dire ». Puis, l’étude des violonistes de l’Oach en Roumanie (travail publié en collaboration avec Jacques Bouët et Speranta Radulescu), lui permit d’établir que l’improvisation ne peut se comprendre indépendamment des interactions de la fête.
Quelques publications
• Musique et fêtes au Haut-Atlas EHESS/Mouton (Cahiers de l’homme), Société Française de Musicologie, Paris, 1980.
• Chroniques sardes, préface de Michel Leiris, Éditions Julliard, Paris, 1990. Edition augmentée en anglais (américain) 1995 : Sardinian Chronicles The University of Chicago Press ; édit. en italien : Voci di Sardegna, EDT-Turin, 1999 (ISBN 978-88-7063-399-3).
• L’ordre intime des choses : chroniques d’enfance, Éditions Julliard, Paris, 1991.
• Musiques en fête : Maroc, Sardaigne, Roumanie (Hommes et musiques), Société d’ethnologie [collection Hommes et musiques], Nanterre, 1994. Édition augmentée en italien Musiche in festa , Condaghes, Cagliari, 2000.
• Indiens chanteurs, L’oreille de l’ethnologue, Hermann, 1re édit. 1994, 2e édit. augmentée, 2008. Traduct. en italien Il pianto dell’altopiano. Indios cantori della Sierra Madre, Torino, 2007, (ISBN 978-88-6163-027-7)
• Canti di Passione, Castelsardo, Sardegna, Libreria musicale italiana, Lucca, 1996. Édition augmentée en français Chants de Passion, Au cœur d’une confrérie de Sardaigne. Le Cerf, Paris, 1998.
• Albanie, Mode d’emploi. Festival de Gjirokastër-1983 / Udhërrëfyespën një Shqupëri. Festival i Gjirokastrës, 1983. Édition bilingue. Ora Botime. Tirana, 2006.
• En collaboration avec J. Bouët et Sp. Radulescu À tue-tête, Chant et violon au Pays de l’Oach (Roumanie), Société d’ethnologie [collection Hommes et musiques], Nanterre, 2002 ; traduct. en roumain Din rasputeri, Glasuri si cetere din Tara Oasului. Institutul cultural roman, Bucarest, 2006.

Hommage par l’Institut Supérieur Régional Ethnographique de Sardaigne

L’Istituto Superiore Regionale Etnografico della Sardegna esprime il più profondo cordoglio per la scomparsa del professor Bernard Lortat-Jacob, eminente etnomusicologo francese e caro amico della nostra isola.

Il professor Lortat-Jacob ha dedicato gran parte della sua illustre carriera allo studio della musica tradizionale sarda, conducendo ricerche pionieristiche nel campo della musica strumentale per launeddas e organetto, dei rapporti tra musica e festa e tra musica e rito. Particolare attenzione ha rivolto alle pratiche di canto a più parti della Settimana Santa, gettando nuova luce sulle nostre tradizioni musicali e sulla loro importanza nel contesto mediterraneo ed europeo.

 

Già componente del Comitato Tecnico Scientifico dell’Istituto, Bernard Lortat-Jacob ha collaborato fattivamente con I’ISRE per l’organizzazione di convegni, festival e attività di ricerca.

Nel 1998 pubblicò il saggio dal titolo “Il cavallo, il canto sacro e la poesia” per il catalogo della IX Rassegna Internazionale di Documentari Etnografici sul tema “Musica e Riti”, che vogliamo in questa occasione mettere a disposizione tramite questo link:

👉https://www.isresardegna.it/index.php?xsl=528&s=68813&v=2&c=4255

Il professor Lortat-Jacob non era solo uno studioso, ma un vero amico della Sardegna, che ha saputo cogliere e trasmetterci l’importanza di pratiche rituali e musicali, espressione dell’identità culturale di questa nostra isola. La sua scomparsa rappresenta una perdita inestimabile per la comunità scientifica internazionale e per tutti coloro che hanno avuto il privilegio di conoscerlo e lavorare con lui.

L’Istituto Superiore Regionale Etnografico della Sardegna si unisce al dolore della famiglia, dei colleghi e degli amici del professor Lortat-Jacob, esprimendo la più sincera gratitudine per il suo straordinario contributo alla conoscenza e alla valorizzazione della cultura sarda.

 

Bernard Lortat-jacob

Par François Picard, Olivier Durif, Alain Surrans

Un personnage important dans l’histoire de la musique nous a quitté le 18 juillet 2024. Nous avions envie à 5planetes, un mois après ce triste moment, de penser à lui.

Trois personnalités l’ayant bien connu ont rédigé un texte sur l’homme et sa carrière.

Bernard Lortat-Jacob : Chant avec Nando Acquaviva – Photo PK 

 

Bernard Lortat-Jacob, ethnomusicologue. L’ethnomusicologue Lortat-Jacob. Lortat-Jacob, l’ethnomusicologue ! Et qui d’autre pour incarner le titre, la fonction, la discipline, même dans l’indiscipline ?

Je l’ai connu quand je débutais mes études doctorales, en 1985, et qu’il accueillait, prenait en charge, animait le séminaire d’ethnomusicologie du musée de l’Homme, dans lequel intervenaient Mireille Helffer, Geneviève Dournon, Hugo Zemp, Gilbert Rouget, Simha Arom, Jean During, et la jeune génération : Miriam Rovsing-Olsen, Shéhérazade Qassim Hassan, Isabelle Duchesne, Anne Caufriez, Méhenna Mahfoufi, Pierre Bois, Jean Lambert, moi-même, autour des fidèles Pribislav Pitoëff et Tran Quang-Hai. Pour accéder au séminaire, on passait devant les restes de la dépouille de Saartjie Baartman, connue alors sous le triste nom de « Vénus hottentote », et un tambour de bois à fente dans lequel on jetait ses tickets de métro usagés, voire ses mégots, à moins que, comme moi, on en faisait sonner alternativement les deux lèvres. C’était un temps où anthropologie physique et anthropologie humaine — sans parler d’anthropologie culturelle — n’étaient pas séparées, ou plutôt où la seconde était vassale de la première. Mais s’il y en avait un qui se démenait pour valoriser et faire ressortir l’humain du musical et le musical de l’humain, c’est bien Lortat. Sans clamer bêtement « tout est de l’art, pourvu qu’on s’en réclame », il a beaucoup œuvré et beaucoup réussi pour l’institutionnalisation non seulement de l’ethnomusicologie — avec la création d’un cursus à la faculté de Nanterre couronné par l’obtention d’un poste de maître de conférences et la fondation de la Société française d’ethnomusicologie — mais aussi des musiques traditionnelles, en agissant auprès du visionnaire Maurice Fleuret au ministère de la Culture.

Ses terrains de recherche personnels l’ont mené du sud au centre et à l’est de la Méditerranée, du Maroc à l’Albanie et la Roumanie en passant et en revenant en Sardaigne, toujours dans des manières d’être et de se comporter ensemble autour de pratiques musicales partagées.

Il a laissé quelques disques remarquables et remarqués (Albanie, Roumanie, Sardaigne), pas mal d’ouvrages. Le plus important pour moi, qui n’ai pas attendu de le rencontrer pour être à ma manière barthien, étant l’absence de manuel d’ethnomusicologie. Alors que, à l’imitation des Euro-Américains comme Mantle Hood et Bruno Nettl, les Euro-Américains comme Francisco Cruces ou Enrique Cámara de Landa voulaient publier des text-books, manuels ou bonnes-feuilles traduites, en italien, roumain, espagnol, et même français, Lortat est celui qui a répondu NON, NIENTE, NO, NADA avec élégance et fermeté, écrivant et publiant au contraire un vade-mecum, un viatique, une boussole, un carnet d’initiation, un Bildungsroman : Indiens chanteurs de la Sierra Madre. L’oreille de l’ethnologue, mêlant lettres, journal de terrain, journal intime, notes de travail, selon la seule unité à la hauteur de notre objet (la musique des Autres) : l’invention, l’imagination, la narration, le récit.

François Picard, professeur émérite d’ethnomusicologie à Sorbonne Université, a présidé la Société française d’ethnomusicologie.

 

Gauche à droite : Laurent Aubert, Speranza Rǎdulescu , Bernard Lortat-Jacob, Frank Tenaille – Photo PK 

 

Bernard, 

que dire de tes routes et débats croisés avec ce réseau des musiques traditionnelles né à l’aube des années soixante-dix?

Que tu as aimé, j’en suis sûr, y être accueilli autant que tu nous a accueilli avec générosité et intelligence et permis, de là d’où tu parlais, que les ouvertures musicales et recherches de terrain initiées par ce monde de contre-culture soixante-huitarde trouvent enfin droit de cité…Ta nomination par le Ministère de la Culture en 1982 comme interlocuteur des acteurs que nous étions, avec l’appui de Maurice Fleuret et le soutien de l’ensemble du réseau, aura été un jalon important et probablement décisif de la reconnaissance de ces musiques, ignorées jusqu’alors par la puissance publique.

Bien-sûr, au fil du temps, nous n’aurons pas toujours été d’accord sur tout et rétrospectivement, ce fut plutôt bon signe que ce réseau s’affranchisse progressivement des parrainages et tutelles intellectuelles qui lui avaient permis de naître…On s’en est quand même passé de bien bonnes parfois, pleines de véhémences et de sincérités opposées qui, pour preuve de leur bonne foi réciproque, ne laissèrent évidemment pas de trace d’inimitié ou de rancoeur.  Cette structuration engagée, tu confias ta place à d’autres pour continuer l’ouvrage, reprendre le tien et — c’est la vie — te consacrer à d’autres chantiers plus personnels.

Merci pour tout l’ami,

Olivier Durif

Erik Marchand, Bernard Lortat-Jacob, Yvon Guilcher – Photo PK

 

LA JOYEUSE INVENTION D’UNE POLITIQUE DES MUSIQUES TRAD’

Musicien, ethnologue… et volontiers provocateur. S’il ne se définissait ainsi qu’en privé, Bernard Lortat-Jacob n’en était pas moins, la quarantaine venue, un professionnel libre et anticonformiste, assez éloigné des considérations de politique culturelle. La récupération politique du folklore telle qu’elle se pratiquait à l’époque, et pas seulement dans les pays sous influence communiste, avait inspiré une salutaire méfiance à cet ethnomusicologue rigoureux et convaincu.

Mais les nouvelles perspectives dessinées par Jack Lang au ministère de la Culture, à son arrivée en 1981, ne pouvaient laisser indifférent un acteur déjà très engagé dans la défense et l’illustration des musiques traditionnelles. Surtout, c’est un ami qui l’appela, un matin d’automne, pour lui proposer de rejoindre l’équipe qu’il était en train de constituer à la direction de la Musique et de la Danse où il avait été nommé en septembre. Maurice Fleuret était pour Bernard Lortat-Jacob un vrai complice, militant des musiques du monde qu’il avait programmées dans chacun de ses festivals depuis près de quinze ans, créateur de la Galerie sonore des Jeunesses Musicales de France, journaliste voyageur toujours à l’écoute de l’inouï, proche d’André Schaeffner, Trân Van Khê, Alain Daniélou et Gilbert Rougé. Difficile, donc, de ne pas répondre à l’appel de ce personnage évidemment taillé pour la refondation d’une politique de la musique et de la danse qui n’allait certainement pas laisser de côté les musiques traditionnelles.

Le chantier était d’envergure pour un ministère qui ne s’était intéressé, jusqu’alors, qu’aux musiques savantes. Quand on pense que, en 1981, le jazz n’était pris en considération qu’au travers d’une subvention à l’ensemble de Claude Bolling, les musiques et danses du monde via une aide symbolique au festival de Confolens, on mesure l’ambition de Maurice Fleuret : faire de son administration l’interlocutrice de « toutes le musiques et toutes les danses », quelque chose d’une révolution copernicienne. Le département de l’Action musicale, dans l’organigramme renouvelé de cette administration, était en lui-même un symbole : il lui revenait d’agir dans des domaines que le ministère n’avait jamais pris en compte : le jazz et les musiques improvisée, les variétés, la chanson et des pratiques amateurs ne se limitant pas à celles coiffées par des fédérations telles qu’A Cœur Joie pour le chant choral et la Confédération Musicale de France pour les harmonies et fanfares. En bref, aucun musicien ou danseur, en France, ne devait plus se dire que le ministère ne s’intéressait pas à son activité.

Le premier acte du nouveau service, dont Bernard Lortat-Jacob allait être le fer de lance, fut donc de rassembler et consulter à travers tout le pays les acteurs des musiques traditionnelles. Des premières Rencontres de Ris-Orangis, en mars 1982, on peut dire qu’elles furent le point de départ de la structuration de tout un milieu désormais pourvu d’interlocuteurs « officiels ». L’actuelle Fédération des Acteurs et Actrices des Musiques et Danses Traditionnelles (FAMDT) est née de ces rencontres qui se démultiplièrent en région (c’était le début de la décentralisation) et rebondirent durant cette année 1982 au sein d’une Commission « constituante » rassemblant des représentants de plusieurs ministère, de l’Université et bien sûr des associations. D’emblée, l’approche ethnomusicologique – l’attention portée aux associations de collectage – était comme submergée par l’onde de choc d’une pratique musicale et chorégraphique en plein essor.

Cette vitalité, Bernard Lortat-Jacob et Maurice Fleuret se donnaient pour but de la révéler, de la mettre en lumière, de la favoriser. En 1983, l’élaboration de Musiques d’en France, un inventaire très complet, réalisé par le Centre National d’Action Musicale (Cenam), allait mobiliser toute la profession. Dans l’intervalle, la reconnaissance du Conservatoire celtique de Lorient, du Conservatoire occitan de Toulouse, l’accompagnement de la Maison des Cultures du Monde, voulue par Jack Lang, du Centre Mandapa à Paris et de festivals de Lorient, Ris-Orangis, des Antilles, étaient les premiers gestes tangibles d’un accompagnement par l’Etat des pratiques, de la transmission, mais aussi de la facture instrumentale. Chaque été, les Rencontres internationales de luthiers et maîtres sonneurs de Saint-Chartier, qui fêteront dans deux ans leur demi-siècle, deviennent un temps fort du dialogue entre les professionnels et l’Etat.

A l’époque, le collectage est encore une mission essentielle. Bernard Lortat-Jacob, infatigable voyageur dans notre hexagone après l’avoir été sous d’autres cieux, incite à des regroupements d’associations et de musiciens qui permettront peu à peu d’ouvrir les premiers centres régionaux de musiques traditionnelles. Aujourd’hui, la valorisation et la transmission sont les missions premières de ces centres qui n’en auront pas moins mis en œuvre, de manière très neuve à l’époque, une démarche patrimoniale grandement facilitée par la décentralisation et le développement d’identités régionales.

D’autres chantiers, plus généralistes par nature, allaient toucher profondément le secteur des musiques et danses traditionnelles, pour l’essentiel dans l’enseignement. La reconnaissance des formes de transmission orale a été très vite confortée par la certitude que cette reconnaissance devait toucher les réseaux généralistes et spécialisés. Ainsi les musiciens traditionnels sont incités à se former dans les Centres qui préparent, à partir de 1983, au métier de musicien intervenant à l’école. Faut-il rappeler que le DUMI (Diplôme universitaire de musicien intervenant) est le seul diplôme conjoint aux ministères de l’Éducation nationale de la Culture, et qu’aujourd’hui plus de 5 000 professionnels en sont titulaires ?

Dans les conservatoires et les écoles de musique, les enseignements des musiques traditionnelles vont pouvoir s’implanter à la faveur de l’instauration en 1982 d’un Diplôme d’État de professeur qui s’élargit à d’autres disciplines que celles des instruments classiques. En 1987, l’ouverture d’un premier département de musiques traditionnelles, au Conservatoire de Limoges, devait créer un précédent plein de promesses.

Mais Bernard Lortat-Jacob avait quitté entre-temps le ministère de la Culture. Il lui tardait de retourner à ses activités d’ethnologue et de musicien. Le deal avec Maurice Fleuret avait été très clair : son engagement dans le projet d’une politique des musiques traditionnelles ne pouvait prendre que la forme d’une « mission » temporaire, dans un esprit de commando qui convenait à son tempérament.  Ses trois années à la Direction de la Musique et de la Danse furent donc intenses, fondatrices, mais aussi d’une étonnante inventivité, à son image. Il fallait entendre Bernard Lortat-Jacob raconter avec gourmandise certains de ses faits d’armes partagés avec Maurice Fleuret : quand l’austère Commission des commandes d’État  avait en 1983 voté à l’unanimité en faveur d’un  projet d’opéra porté par la compositrice populaire italienne Giovanna Marini ; quand le Conservatoire de Paris, avec la complicité de son directeur Marc Bleuse, s’était pourvu d’une surprenante classe de musique indienne confiée à Patrick Moutal ; ou encore quand  Valéry Giscard d’Estaing, désireux d’offrir à sa région Auvergne un orchestre classique , n’avait pu refuser de la doter aussi d’un Centre de musiques traditionnelles, la future AMTA. Pour s’être servi avec talent des rouages d’un Etat devenu volontariste, Bernard Lortat-Jacob n’en restait pas moins, dans l’âme, un vrai provocateur.

Alain Surrans

 

Hommage de Steven Feld

A mes collègues et amis français de la SFE et du CREM :

J’écris pour ajouter ma triste voix à la vôtre en ce moment de souvenir de Bernard, une présence si vibrante dans notre petit monde de l’anthropologie musicale. Je compte parmi les chanceux qui ont partagé 50 ans de rencontres chaleureuses avec lui, depuis notre première rencontre au Musée de l’Homme à l’hiver 1974. Même si je n’avais que peu de ses travaux en anglais à donner à mes étudiants pendant de nombreuses années, j’ai adoré partager ses idées et ses enregistrements, et apporter sa remarquable passion pour la recherche, en particulier sur l’anthropologie de la voix, dans les conversations professionnelles aux États-Unis. De vive voix comme par écrit, Bernard était toujours prompt à poser une question tout à fait singulière ou à donner une réponse en tous points originale à tout ce que je lui donnais à lire, à toutes les idées que je lui soumettais. Son ouverture d’esprit et sa générosité me manqueront beaucoup.

Steve Feld
30 juillet 2024

— stevenfeld.net voxlox.bandcamp.com horn2horn.com

Hommage à Bernard Lortat-Jacob par Vincent Dehoux

“Bernard était pour moi l’image vivante du Gai Savoir. Ses facultés fondées sur une longue connaissance des gens avant même que de la musique, il en faisait état sans nécessiter de l’affubler d’un regard sévère  que d’autres adoptent  comme de bien entendu : comme si on ne pouvait les dissocier. Je n’oublierai jamais son sourire indéfectible et son humanité : un seul être vous manque et tout est dépeuplé”

Vincent Dehoux

 

Hommage à Bernard Lortat-Jacob par Abdallah AYADI

“C’est avec beaucoup de tristesse qu’on a appris en Tunisie le décès du grand ethnomusicologue Bernard Lortat-Jacob l’un des pionniers de la discipline.
Nos sincères condoléances à tous les membres de sa famille, ses amis, ses disciples et tous les membres de la SFE.
Paix à son âme.”
AYADI Abdallah

 

Hommage à Bernard Lortat-Jacob par Luc Charles-Dominique

Chères et Chers tou.te.s,

C’est avec une grande tristesse que je vous fais part de la disparition, ce 18 juillet, de Bernard Lortat-Jacob, ethnomusicologue, ancien directeur de recherches au CNRS et responsable du Laboratoire d’ethnomusicologie du musée de l’Homme, spécialiste des musiques de la Méditerranée (Berbères du Maroc, Sardaigne, Roumanie, Albanie).
On lui doit, entre autres multiples choses, la fondation de la Société française d’ethnomusicologie, qu’il présida durant de nombreuses années.
Bernard, qui ne faisait pas mystère de sa maladie et savait sa fin proche, laisse un immense vide dans l’ethnomusicologie internationale contemporaine. Ce matin, Laurent Aubert, dans un échange privé dont je cite ici un extrait, a déclaré :
« Bernard nous a tous marqués par l’originalité et la profondeur de son intelligence, et aussi par ses qualités humaines exceptionnelles. Un grand maître s’en va… »
Ceux qui ont eu la chance d’être dirigés par lui ou de le côtoyer plus régulièrement que moi témoigneront ici certainement aussi bien de leur émotion que des grandes qualités humaines et intellectuelles de ce grand chercheur.
Luc CHARLES-DOMINIQUE.

Hommage par Monique Desroches

C’est avec grande tristesse que j’ai appris le départ de Bernard Lortat-Jacob.  Spécialiste des musiques de la Méditerranée, Bernard était un ethnomusicologue de terrain et du terrain. Excellent communicateur, il savait raconter, mettre en récit ses rencontres avec les musiciens et leur entourage. Ses analyses révélaient ainsi une connaissance profonde, intime et originale des performances musicales. Il lui importait surtout d’en dégager le sens, la signification musicale, esthétique et sociale. Il aimait débattre des approches et visions de la discipline, et ce, dans le respect des points de vue de chacun. Tant par sa pédagogie que par ses recherches, Bernard Lortat-Jacob aura contribué de manière significative à l’édification des canons méthodologiques et théoriques de l’ethnomusicologie française.
Monique Desroches
Professeure émérite
Université de Montréal

Hommage à Bernard Lortat-Jacob par Victor Stoichita et l’équipe du CREM

Chères et chers collègues,

Le Centre de recherche en ethnomusicologie a la tristesse de vous faire part du décès survenu le 18 juillet de Bernard Lortat-Jacob.

Bernard était un ethnomusicologue mondialement connu, spécialiste des musiques du bassin méditerranéen. Il avait mené des enquêtes de terrain
notamment en France, au Maroc, en Albanie, en Sardaigne et en Roumanie. Ses travaux ont montré comment les rapports de pouvoir, de séduction, d’amitié et de compagnonnage pouvaient résonner dans les formes sonores. Bernard s’était également penché à plusieurs reprises les mécanismes de la créativité musicale, et notamment de l’« improvisation ». Chanteur et parolier, il avait un intérêt particulier pour la voix et pour ses multiples manières d’incarner des émotions.

Prenant la suite de Gilbert Rouget au Musée de l’Homme, Bernard y avait refondé le laboratoire d’ethnomusicologie, qu’il avait dirigé de 1990 à 2003. Fortement impliqué dans l’enseignement de l’ethnomusicologie à l’université Paris-Nanterre, où il fut responsable du doctorat d’ethnomusicologie de 1987 à 2008, il contribua à y former de nombreux ethnomusicologues (parmi lesquels plusieurs membres du CREM).

Malgré les vicissitudes de l’âge et de la maladie, Bernard restait un chercheur infatigable. Son dernier ouvrage est actuellement sous presse aux éditions de la Société d’Ethnologie. Bernard y reprend à nouveaux frais les fils d’une enquête entamée trente ans plus tôt au Nord de la Roumanie : réfléchissant aux transformations sociales et musicales d’une petite communauté de paysans, devenus pour beaucoup ouvriers en France, Bernard y discute des rapports intimes que la musique est à même de tisser à long terme, au sein de la communauté et avec les ethnomusicologues venus l’étudier.

Les enregistrements de Bernard Lortat-Jacob peuvent être consultés ici : https://archives.crem-cnrs.fr/archives/fonds/CNRSMH_Lortat-Jacob/

La liste de ses publications est disponible sur son blog : http://lortajablog.free.fr

Pour l’équipe du CREM,
Victor A. Stoichita

 

Hommage à Bernard Lortat-Jacob par Sylvie Le Bomin

J’ai eu la chance de côtoyer Bernard aussi bien sur le plan professionnel que personnel. J’en retiens un amour sans modération pour la musique, sa curiosité insatiable pour les musiques des autres qui parfois devenaient siennes. Avant la Sardaigne, il y a eu la France, le Haut Atlas marocain puis la Roumanie et ces musiques campagnardes qu’il nous a fait découvrir avec les regrettés Sperantza Radulescu et Jacques Bouët. Comme d’autres ethnomusicologues, il est tombé amoureux de son terrain jusqu’à y acquérir une résidence et à vouloir y demeurer à jamais. Comme d’autres ethnomusicologues, l’ethnomusicologie n’était pas qu’un métier, c’était une façon de vivre à part entière. Par sa pratique de la musique, mais tout autant par son empathie envers les musiciens et leur mode de vie, il vivait en parfaite osmose avec cette Sardaigne, ces Sardes et leurs musiques. Bernard fait partie de ces piliers de l’ethnomusicologie française qui lui ont donné un cadre d’existence dans le milieu académique, celui de la recherche, mais aussi sur le plan politique. Je n’oublie pas ses encouragements et sa bienveillance envers la jeune génération, qu’il poussait à participer à tous les domaines de rayonnement de l’ethnomusicologie, qu’il s’agisse de proposer un disque à Ocora, de réaliser un film documentaire et surtout d’aller à la découverte de nouvelles musiques sur des terrains encore peu connus. Je me rappelle avec nostalgie ces parties de ping pong où nous jouions tous les deux la participation financière des étudiants aux JETU, ce que beaucoup ignoraient. C’était une époque faste, nous pouvions nous le permettre.  Je dois à Bernard d’avoir pu réaliser cette aventure incroyable de produire des cérémonies de Bwiti au Festival de Radio France et Montpellier en collaboration avec le Musée du Quai Branly, aventure qui a profondément marqué ma vie d’ethnomusicologue. Nos chemins se sont peu à peu écartés et un de mes plus profonds regrets est qu’il n’ait pu venir à la rencontre des étudiants en ethnomusicologie de la Sorbonne que j’ai la chance d’encadrer.

Yeux pétillants, sourire malicieux, petit rire sarcastique, curiosité insatiable, diners musicaux incroyables, parties de ping pong endiablées, découvertes de musiques inouïes parfois dans ton salon (comment oublier ces musiciens yéménites que Jean Lambert avaient fait venir à Paris, que tu avais invités chez vous et qui nous avaient donné ce concert incroyable en dansant avec des couteaux immenses …), anti-conformiste sérieux ou sérieusement anti-conformiste, oui, Vincent a raison, Bernard tu as été l’incarnation du Gai savoir.

Sylvie Le Bomin

Professeure en ethnomusicologie

Sorbonne Université

Hommages multiples :

Par Aliénor Strentz : “Je suis très touchée par la mort de Bernard Lortat-Jacob. Son souvenir me ramène à mes années universitaires, si riches et marquées par la découverte émerveillée de l’ethnomusicologie. Il restera à mes yeux l’un de mes principaux maîtres en ethnomusicologie, à qui je dois beaucoup dans ma formation ethnomusicologique, intellectuelle et humaine. Nous l’admirions tous… Ses travaux resteront gravés dans l’histoire de l’ethnomusicologie, et lui dans nos coeurs.” Aliénor Strentz (Anisensel), Docteur en ethnomusicologie”.
Par Fabrice Contri : “Une plume originale, un crayon de transcripteur équilibrant avec finesse l’analyse ethnologique et musicale, un grand pédagogue et orateur, un modèle et un ami pour beaucoup. ” Fabrice Contri
Par Ari Palawi : “I was deeply saddened to hear the news about Professor Bernard Lortat-Jacob’s passing. His contributions to ethnomusicology were profound, and his work has left an indelible mark on the field. Please accept my heartfelt condolences. My thoughts are with you and everyone affected by this loss.”
Par Ricardo Trimillos : “Aloha and condolences to the family and other loved ones of Prof. Lortat-Jacob. He was always a cordial and engaged colleague at ICTMD gatherings. Mahalo poina ‘ole.”
Société française d'ethnomusicologie