Disparition – Georges Delarue (5 février 1926 – 11 mai 2024)

Ce 11 mai 2024, un souffle d’air est passé à proximité du Mont Aiguille (Isère) emportant dans son sillage

Georges Delarue
(5 février 1926 – 11 mai 2024)

Georges avait, comme il se plaisait à le dire, cent moins deux ans ! Une façon souriante d’annoncer son âge qui, à elle seule, donne la tonalité d’une solide personnalité ayant toujours su conjuguer joie de vivre et ardeur au travail. Il s’est plu à partager repas copieux, bons vins et autres festivités avec les siens mais aussi avec les groupes d’amis constitués dans le cadre de ses deux passions, la botanique et les chansons traditionnelles. Aussi, côtoyer Georges c’était réduire à néant les frontières du professionnel et du personnel, celles des temps propres au travail de ceux glissant vers le plaisir ; c’était aussi se nourrir d’un état d’esprit où le maître mot était le partage et la générosité sans limite. C’est, indéniablement, grâce à cette façon d’être qu’une œuvre est née !

Professeur de sciences naturelles au collège de Monestier de Clermont, il s’est installé dans ce village de montagne où il a vécu jusqu’à la fin de sa vie. Retraité, il a, selon l’une de ses expressions, consacré à la botanique les loisirs que voulaient bien lui laisser la chanson organisant, en local, des temps d’observations hebdomadaires mais aussi des rencontres exploratoires annuelles en terrains plus lointains. Certains ouvrages spécialisés ont retenu son nom pour avoir su repérer quelques espèces rares. Il n’a cessé, aussi, de dire combien la rigueur nécessaire à cette activité l’a aidé dans celle nécessaire à ses travaux sur ce qu’il appelait le folklore.

Fils de Paul Delarue (1889-1956), il a, très jeune, été porté par la dynamique des travaux sur le conte dont son père est un spécialiste incontournable. Les encouragements paternels ont orienté Georges vers la chanson et l’ont conduit à s’inscrire dans la lignée des recherches de Patrice Coirault, rencontré à plusieurs reprises. Là où beaucoup marquent de leur plume leur domaine de recherche par la production de textes, à la manière de l’herbier qui permet l’étude des plantes, Georges a offert à ses contemporains et descendants les matériaux nécessaires aux travaux sur la chanson. À suivre les publications entreprises par son père sur Achille Millien, il a édité en cinq tomes (1977-2000) les manuscrits de la quête chansonnière de ce Nivernais, incontestablement l’un des plus grands collecteurs français. Nous devons aussi à Georges ses travaux sur les manuscrits de Claudius Servettaz (Haute-Savoie, 1977) ou encore ceux sur la collecte acadienne de Geneviève Massignon (1994). Il a, également, œuvré au cœur des chercheurs du Centre alpin et rhodanien d’Ethnologie, siégeant au Musée dauphinois, pour la production du Monde alpin et rhodanien, l’une des plus notables revues d’ethnologie consacrées aux traditions francophones fondée par Charles Joisten, l’ami de toujours.

Dans le dévouement et le désintéressement le plus total, Georges Delarue s’est, aussi et surtout, consacré des années durant à la mise à disposition des outils de recherche élaborés par Patrice Coirault. À la tête d’un collectif mis en place au décès de Coirault en 1959, il n’a eu de cesse de produire, un à un, les ouvrages de référencement nécessaires à la poursuite des travaux sur la chanson francophone de transmission orale. Suivi dans ses démarches par les éditions de la Bibliothèque nationale de France, avec les collaborations successives de Simone Wallon, Yvette Fédoroff et de moi-même, il a permis la publication des trois tomes constituant le Répertoire des chansons françaises, (1996, 2000, 2007) et celui de la collecte personnelle de Coirault (2013). L’édition, en 2020, du fichier des timbres de Coirault sous le titre Mélodies en vogue au XVIIIe siècle lui a offert la reconnaissance bien méritée de l’ensemble des milieux touchant de près ou de loin le domaine de la musicologie.

À ce stade, Il aurait pu faire le choix de se poser et, enfin, de souffler. Que nenni ! il a, alors, entrepris la numérisation et commencé la transcription du manuscrit italien dit de Lucques, chansonnier achevé en 1575. Suite à la bienveillance de son père qui, via Coirault, avait connaissance de ce manuscrit, Georges en possédait un microfilm. Une sorte de boucle s’est ainsi bouclée sans, pour autant, s’être refermée. Georges a su tout mettre en place pour que le trait d’union entre chansons anciennes et collectes contemporaines non suffisamment exploré à ce jour s’épaississe de connaissances plus fournies. Aux suivants de prendre le relais avec, en tête, cette phrase du Maître, du Chercheur, de l’Ami Jojo : « n’affirme jamais rien que tu n’aies pu vérifier ».

Société française d'ethnomusicologie