Hommage à Bernard Lortat-Jacob par Sylvie Le Bomin

Hommage à Bernard Lortat-Jacob par Sylvie Le Bomin

 

J’ai eu la chance de côtoyer Bernard aussi bien sur le plan professionnel que personnel. J’en retiens un amour sans modération pour la musique, sa curiosité insatiable pour les musiques des autres qui parfois devenaient siennes. Avant la Sardaigne, il y a eu la France, le Haut Atlas marocain puis la Roumanie et ces musiques campagnardes qu’il nous a fait découvrir avec les regrettés Sperantza Radulescu et Jacques Bouët. Comme d’autres ethnomusicologues, il est tombé amoureux de son terrain jusqu’à y acquérir une résidence et à vouloir y demeurer à jamais. Comme d’autres ethnomusicologues, l’ethnomusicologie n’était pas qu’un métier, c’était une façon de vivre à part entière. Par sa pratique de la musique, mais tout autant par son empathie envers les musiciens et leur mode de vie, il vivait en parfaite osmose avec cette Sardaigne, ces Sardes et leurs musiques. Bernard fait partie de ces piliers de l’ethnomusicologie française qui lui ont donné un cadre d’existence dans le milieu académique, celui de la recherche, mais aussi sur le plan politique. Je n’oublie pas ses encouragements et sa bienveillance envers la jeune génération, qu’il poussait à participer à tous les domaines de rayonnement de l’ethnomusicologie, qu’il s’agisse de proposer un disque à Ocora, de réaliser un film documentaire et surtout d’aller à la découverte de nouvelles musiques sur des terrains encore peu connus. Je me rappelle avec nostalgie ces parties de ping pong où nous jouions tous les deux la participation financière des étudiants aux JETU, ce que beaucoup ignoraient. C’était une époque faste, nous pouvions nous le permettre.  Je dois à Bernard d’avoir pu réaliser cette aventure incroyable de produire des cérémonies de Bwiti au Festival de Radio France et Montpellier en collaboration avec le Musée du Quai Branly, aventure qui a profondément marqué ma vie d’ethnomusicologue. Nos chemins se sont peu à peu écartés et un de mes plus profonds regrets est qu’il n’ait pu venir à la rencontre des étudiants en ethnomusicologie de la Sorbonne que j’ai la chance d’encadrer.

Yeux pétillants, sourire malicieux, petit rire sarcastique, curiosité insatiable, diners musicaux incroyables, parties de ping pong endiablées, découvertes de musiques inouïes parfois dans ton salon (comment oublier ces musiciens yéménites que Jean Lambert avaient fait venir à Paris, que tu avais invités chez vous et qui nous avaient donné ce concert incroyable en dansant avec des couteaux immenses …), anti-conformiste sérieux ou sérieusement anti-conformiste, oui, Vincent a raison, Bernard tu as été l’incarnation du Gai savoir.

Sylvie Le Bomin

Professeure en ethnomusicologie

Sorbonne Université

Société française d'ethnomusicologie