Hybridations musicales brésiliennes : le langage musical d’Hermeto Pascoal
Hermeto Pascoal fait partie des compositeurs les plus prolifiques des 20e et 21e siècles. Son oeuvre, encore en développement, est constituée de milliers de pièces. Malgré cela, elle reste, somme toute, assez peu étudiée par la littérature scientifique brésilienne, et presque absente des travaux anglophones et francophones (Rosado, 2019).
Né le 22 juin 1936 dans l’état d’Alagoas (Brésil), Hermeto Pascoal expérimente très jeune le monde sonore en lien avec la nature et avec les outils et réalisations de son grand-père forgeron. Joueur d’accordéon (8 basses) et de pandeiro, il sera toutefois déclaré « non doué pour la musique » par le Directeur d’une radio brésilienne ; il finira tout de même par y faire son début de carrière. Plus tard devenu pianiste, puis flutiste et finalement polyinstrumentiste, il va successivement transformer les paysages musicaux brésilien, américain, et au-delà, au point de recevoir en 2023 le titre de Docteur Honoris Causa par la Juilliard Scool (New York).
Différents éléments de son langage musical (harmonique, mélodique, rythmique et timbral) sont vraisemblablement issus de ses expérimentations enfantines (Lima Neto, 2000 ; Payne, 2022) puis de ses expériences culturelles, sociales, religieuses et professionnelles qui font de lui, aujourd’hui, un compositeur, arrangeur et musicien à la trajectoire exceptionnelle (Borém et Araújo, 2010). L’expérimentation reste au coeur de la démarche d’Hermeto Pascoal, lequel ne s’interdit aucune modalité sonore. Utilisée dans tous ses facettes, la voix se révèle un aspect fondamental de sa créativité ; elle est utilisée dans toutes ses possibilités (en chantant, parlant, criant, chuchotant, priant, toussant, riant…) seule ou associée à d’autres moyens de production sonore (Costa-Lima Neto, 2010a).
Aux musiques populaires du Nordeste brésilien, il emprunte la modalité dite « nordestine » (Tiné, 2008) qu’il hybride avec le langage tonal mais également avec de l’harmonisation non fonctionnelle (Costa, 2006). Son langage musical s’est ainsi enrichi de sources aussi diverses que Schoenberg, George Russell, ou Dave Brubeck (Araújo et Borém, 2013; Rosado, 2019).
Finalement, son rapport au musical crée une « relation intime entre contenus musicaux et non musicaux » (Borém et Garcia, 2010), mêlant « tonalité, modalité, atonalité, polymodalité, paysages sonores et musique concrète » (Borém et Araújo, 2010).
D’un point de vue analytique, la littérature scientifique qui étudie l’oeuvre d’Hermeto Pascoal met en oeuvre divers outils comme, par exemple, l’analyse formelle, scalaire, spectrale (Borém et Garcia, 2010) ou l’analyse toroïdale (Chouvel et al., 2002). Elle propose également de nouvelles approches conceptuelles au travers de notions telles que l’entropie (Shannon, 1948) convoquée par Cabral et Guigue (2016), les topiques (Piedade, 2013), la « friction de musicalités » (id.) ou celle de « continuum paradoxal séparation-fusion » (Costa-Lima Neto, 2010).
Plusieurs questions émergent de ce rapide tour d’horizon :
– L’« oeuvre » (au sens large, intégrant son rapport au musical) d’Hermeto Pascoal inspire-t-elle d’autres artistes (du brésil, ou en dehors) ? Si oui, dans quelle mesure et comment ?
– En quoi l’oeuvre d’Hermeto Pascoal incite-t-telle potentiellement à un questionnement au travers d’une « musicologie générale » (i.e. abolissant les différences entre musicologie et ethnomusicologie) ?
– Dans quelle mesure les différents outils conceptuels déjà proposés pour analyser sa musique sont-ils suffisamment opérationnels pour en rendre compte ?
– Comment les concepts proposés par Hermeto Pascoal lui-même éclairent-ils son travail ?
Au travers de cette base de questionnement qui pourra être largement étendue, cette journée d’étude vise une meilleure compréhension de l’oeuvre d’Hermeto Pascoal, mais aussi à susciter un intérêt des chercheurs francophones pour un artiste dont la complexité du langage musical constitue un véritable défi pour l’analyse musicale.
Programme
Journée d’Etude ‘Hermeto Pascoal’ (5 avril 2024) – Programme