JETU 2012: Programme prévisionnel

Constructions sociales de l’humour sonore

Journées d’études SFE 2012

15-17 juin, à Eymoutiers, domaine du Buchou

Ci-dessous, la liste des communications prévues, par ordre alphabétique des noms. Si vous souhaitez assister à ces journées veuillez remplir et renvoyer le formulaire ci-joint au plus tard le 28 février. Après cette date, la SFE ne pourra garantir la disponibilité d’un transport et d’un hébergement.

 

La Volksmusik peut-elle être sérieuse ? L’humour comme procédé de légitimation d’un genre.

Talia Bachir-Loopuyt

Enquêtant sur un cycle de compétitions de musiques du monde organisées dans diverses régions d’Allemagne, je me suis trouvée devant le paradoxe suivant : d’un côté, ces évènements se présentent comme des évènements « sérieux », visant à célébrer la diversité des cultures (sous le haut patronage de la commission allemande de l’Unesco) et la créolisation du monde (sous l’égide de savoirs scientifiques). De l’autre, un bon nombre de performances observées sur la scène de ces festivals mettent en avant ce que j’ai appelé, au début de mon enquête, une forme de « jeu des identités » s’alimentant des contrastes entre des univers sonores distants : ainsi, lorsque des musiciens de jazz virtuoses affublés d’un attirail de clown reprennent des comptines allemandes (Furiosef) ou qu’un ensemble de musique contemporaine mongole clôture son concert par une chanson bavaroise interprétée en chant diphonique (Egschiglen).

Dans ce jeu des identités, une place particulière est dévolue à ce que l’on appelle la « Volksmusik » : un genre qui ne peut pas être défini par des caractéristiques stylistiques, mais qui génère en revanche un ensemble de connotations orientant des pratiques et des usages partagés. La « Volksmusik » telle qu’elle apparait sur la scène des festivals allemands, ce sont essentiellement : des citations en dialecte bavarois ou souabe, des comptines enfantines ou des parodies de tubes de variété (les « Schlager ») – en somme, un genre peu sérieux, qui ne passe pour légitime que pour autant qu’on le mette en scène de manière distanciée. Comme expliquer la prégnance de cette forme d’humour obligé ? Et peut-il être « traduit » sur la scène globalisée des musiques du monde ? 


Histoire d’en rire : la chanson comme exutoire des réalités sociales

Marlène Belly et Françoise Etay

Cette communication s’appuiera sur le répertoire chanté de tradition orale francophone. Récit ou dialogue énonçant des situations concrètes dans un langage direct et concis, la chanson traduit, en vers et en musique, les réalités quotidiennes de chacun. À ce titre, elle se présente comme un microcosme de la société où elle se rencontre : amour malheureux, mariage forcé, emprise du service militaire, dureté du travail et surtout de la condition sociale sont au cœur des thématiques des textes. Rien de bien marrant ! Pourtant, histoire d’en rire faute de pouvoir faire autrement, la chanson se pose en exutoire des difficultés du quotidien. En vers et en musique, dans un registre souvent humoristique ou parodique, elle porte les propos rebelles, la contestation et dénonce les injustices sociales.

La chanson, dans les particularités de la profération vocale, permet alors d’exprimer ce qui ne peut être dit. Les thématiques plus particulièrement propices à ce traitement seront présentées. Mais ce sont surtout les procédés tant au niveau des textes que de leur mise en musique qui seront étudiés. Renversement des valeurs et des conditions, situations ridicules, difficultés tournés en dérision, mésaventures abondent dans le répertoire. Donné sur un ton où le cocasse, le burlesque, le ridicule et l’irrévérencieux tiennent une place de choix, les poèmes jouent également de sous-entendus, de double sens, de jeu de mots et d’aspects formels qui traduisent cette tonalité. Au niveau musical, si la parodie y tient une place importante, certains choix dans les conduites mélodiques renforcent également la tonalité recherchée.

 

Procédés humoristiques dans le jeu du gamelan javanais [titre provisoire]

Marc Benamou

Résumé à venir…

 

Faut-il avoir des bolas pour faire une bonne murga ? Murga féminine et subversion dans le Carnaval de Montevideo.

Clara Biermann

La murga est un genre musico-théâtral uruguayen de carnaval, composé d’un chœur de quinze chanteurs accompagné par un trio de percussionnistes jouant de la grosse caisse, une caisse claire et des cymbales. Une murga présente un spectacle d’une heure alternant entre séquences de théâtre chanté et séquences de chant, articulant dimensions sonores, théâtrales et gestuelles. La murga qui m’intéresse ici est une murga entièrement composée de femmes, chose inédite dans un milieu presque exclusivement masculin. Ce groupe, qui se présente pour la première fois au Carnaval de Montevideo 2012 s’appelle Cero Bola « Zéro boule », nom jouant sur l’absence d’hommes dans le groupe, et sur l’expression « no dar bola » littéralement « s’en foutre », pied de nez aux potentiels détracteurs de cette murga de jeunes femmes.

A travers deux exemples je voudrais montrer les différents procédés comiques qui sont utilisés. Le premier exemple est un couplet sur les mensonges des instituteurs, arrangé pour le chœur sur des chansons chantées par les enfants uruguayens à l’école, comme l’hymne national, etc. L’utilisation d’un emprunt mélodique participe du détournement et l’effet comique se construit sur la confrontation entre les paroles critiques et le sens local associé aux mélodies utilisées. Le deuxième exemple est une chanson sur la menstruation, dont j’analyserai le traitement articulant procédés mélodiques et théâtraux. Cette thématique à la fois typiquement féminine tout en étant triviale et taboue joue sur la provocation et sur la limite avec la vulgarité, pour provoquer le rire gêné du spectateur.

Cette communication interrogera ainsi certains procédés musicaux et théâtraux sur lesquels repose le rire dans la murga, ainsi que leur inscription avec la question du genre et de la posture de subversion par rapport au milieu social de la murga assumée par ces femmes.

 

L’humour musical dans la murga hispano-uruguayenne et son relation avec des aspects littéraires et théâtrales

Marita Fornaro Bordolli (École Universitaire de Musique, Université de la République, Uruguay)

Dans cette communication nous analyserons les ressources musicales utilisées par la murga uruguayenne, expression de théâtre musical populaire de contexte carnavalesque caractérisée par la critique sociopolitique.

L’humour de la murga est centré dans la critique, avec un intense usage du contrafactum. L’humour musical de la murga se présente particulièrement en deux plans artistiques: un littéraire (allusions à des aspects musicaux), et un autre qui emploie la musique pour générer d’humour. Il s’utilise avec les fonctions d’allusion directe au fait critiqué, personnification de concepts, parodie, satire. Nous nous occuperons spécialement de cette dernière.

En suivant à des auteurs classiques, nous considérons ici à la satire comme un tipe d’«ironie militante» qui comprend la fantaisie et le grotesque, et il a besoin d’un contexte partagé entre qui l’élabore et son publique (Frye, 1957); «l’utilisation du comique dans une attaque», avec un « ton émotionnel typiquement malicieux » (Berger, 1998). Cette fonction est la plus fréquente dans l’humour musical de la murga, pour emphatiser des contenus littéraires, et même pour leur donner un sens satirique. Par exemple, pendant la période de malheur footballistique uruguayenne (1980-2000), différentes murgas utilisent la musique d’une chanson carnavalesque, Uruguayos campeones – à son tour, contrafactum créé pour fêter les succès footballistiques de la première moitié du XXème siècle et basé dans un tango de Francisco Canaro – pour satiriser la situation d’échec sportif et établir un rapport avec les problèmes sociaux et économiques-financiers d’un pays expulseur de ses habitants. Avec la même intention on utilise la musique de La Marseillaise pour critiquer l’échec qui laisse le pays dehors du Championnat Mondial de Football réalisé dans la France.

Les ressources musicales que nous analyserons ne s’élaborent pas isolées; en plus d’être liées aux aspects littéraires, elles ont une relation avec des aspects de dramatisation, choréographie, mise en scène et costume.

 

Introduction aux journées

Christine Guillebaud et Victor A. Stoichiță

 

Discussion

Animée par Michael Houseman (anthropologue, Directeur d’études à l’Ecole Pratique de Hautes Etudes)

 

Des voix instrumentées ou instrumentalisées ? Egypte, Syrie, Yémen

Jean Lambert

Dans un cadre intimiste, des musiciens amateurs d’Egypte, de Syrie et du Yémen imitent des performances de spectacle dans leur totalité, voix, instruments et sonorisation en chantant des chansons à succès, provoquant à la fois l’enthousiasme et l’hilarité de leurs auditeurs. Je m’interroge sur les ressorts du comique sonore : l’imitation parodique de l’instrument par la voix est le ressort principal, mais pour le Syrien, elle s’accompagne de l’imitation de l’amplification du son et du présentateur qui sont tournés en dérision. Les textes chantés ne sont évidemment pas indifférents, non plus que les mimiques visuelles des interprètes. A travers ces sons comiques, s’exprime tout un tissu sémantique et contextuel beaucoup plus large qu’il n’y paraît : l’Egyptien du Sa‘îd rural assume son autodérision, personnelle et régionale ; le Yéménite d’une sous caste son autodérision sociale ; le Syrien membre des forces armées, tourne en dérision des spectacles de nature officielle. Cette étude me permet de reprendre d’anciennes interrogations sur la complémentarité de la voix et de l’instrument dans la musique arabe. La communication sera aussi l’occasion de tester ce comique sonore sur des auditeurs non familiers avec la musique arabe. Ces documents ayant été recueillis sur You Tube, je m’interrogerai également sur leur réception par le public arabophone, à travers ses réactions sur le forum : appréciations émerveillées, condamnations religieuses ou morales et explosions d’agressivité identitaire…

 

« Ah! je ris de me voir si compétent »

Bernard Lortat-Jacob

Le rire  procède d’une distorsion (celle de l’objet). Si cette distorsion est non perçue, on ne rit pas; c’est seulement si elle est perçue que l’on rit. Du coup, le rire implique la connivence avec un objet (précis) et implique une compétence clairement circonscrite qui permet de comprendre cet objet. Relevant d’une compétence, il a aussi le pouvoir de révéler cette compétence.

En clair : c’est parce qu’on est fortiche et qu’on comprend ce qui se passe que l’on rit. Au bout du compte, lorsque le rire éclate comme une évidence, c’est soi-même qu’on applaudit.

Si on ne rit que de ce qu’on connaît – ou plus exactement de la distorsion de quelque chose que l’on connaît – le rire devient une chose très sérieuse : un véritable outil musicologique (dans une perspective esthétique naturellement).

 

« Musiques irréductibles » et humour musical

François Picard

L’analyse d’une prestation filmée de Grock ou de la Sequenza pour trombone de Luciano Berio montre l’étroitesse et la faiblesse de la part sonore de l’humour musical : un tabouret de piano trop bas, un archet qui pique le cul du voisin, c’est du comique de corps, de situation, mais pas de l’humour musical, sauf l’imitation de la voix, un glissando incongru. Mais arriver à le théoriser d’un point de vue transculturel/ethnologique, c’est une autre paire de manches. Par « musique irréductible », je désigne une globalité où l’instrument et sa musique, voire le musicien et la situation, le sens, la symbolique… forment un tout. Exemplaires, la guimbarde, l’arc musical, le chant diphonique, formes déployées dans le temps. On opposera ainsi une pièce à la cithare qin à sa réduction, le jeu de gaita de Sadja à celui de Paito, un honkyoku par Watazumi Dōso et le même par Yokoyama Katsuya.

Nous poserons que l’humour musical cible de manière différente les « musiques irréductibles » et les autres : jouer l’Art de la fugue avec un ensemble de bigotphones n’a pas le même propos, la même envergure, que de jouer avec le même ensemble Verklärte Nacht ou Tremblement de Terre très doux.

Après avoir joué Eci ameya à l’orgue à bouche, décalage sans ironie ni effet humoristique, nous proposerons de faire rire l’assemblée en jouant « Tamanuwa » de la suite Tuleâkâ aux clarinettes européennes. Nous arriverons sans doute à la conclusion que la première est une composition pure alors que la seconde, musique irréductible, est indissociable de ses conditions d’exécution. Or, l’interprétation de la même « Tamanuwa » à l’orgue à bouche se révélera sans aucun effet comique. L’expérience montre l’utilité du concept de « musique irréductible » : cette musique n’est pas qu’une sonorité pulsée, ou un jeu, mais une organisation de hauteurs et de durées, une musique pure.

 

Humour et musique populaire. Le sens du succès de l’artiste Tsiliva de Madagascar.

Victor Randrianary

Dans ce pays, l’humour en tant que genre artistique a été toujours connu à travers la capitale, Antananarivo. Ainsi, les styles et les artistes régionaux et de campagnes ne sont guère discernés en dehors de leurs régions. D’une manière générale, les humoristes exercent également le métier de chanteur-musicien.

Mon étude s’intéresse à un artiste issu de la région de l’Ouest qui a acquis une notoriété nationale à partir surtout de ses succès  dans la capitale. Il s’agit de Tsiliva qui revendique son appartenance au genre musico-chorégraphique kilalaky du peuple Sakalava Menabe. Bon nombre de ses pairs définissent le kilalaky comme appartenant aux ancêtres. Sans conteste, Tsiliva est l’artiste originaire de sud et de l’Ouest  le plus connu sur la scène nationale.

Mon analyse s’interroge sur les raisons de la réussite de cette  combinaison complexe qui place l’humour au centre de son expression. Je présenterai l’historique et les éléments musico-chorégraphiques fondamentaux du kilalaky. L’analyse des œuvres majeurs de Tsiliva permettra aussi de catégoriser les différents types d’humour. Toutefois, je privilégie l’analyse du mécanisme de l’ironie et la mécanisation humoristique  chez cet artiste.  Plusieurs spécialistes affirment que le rire a une arrière plan culturel et révèle quelque chose de la communauté d’origine. Dans le cas de Tsiliva, il s’avère que ses scènes humoristiques associant danse et musique dévoilent  un lien étroit entre la mise en spectacle du politique, du religieux et du média dans un contexte national. Dans une certaine mesure, ce musicien humoriste rivalise et défie les politiques, les religieux et les médias dans un pays en perpétuelle crise socio-économique et politique. À travers ce nouveau succès, sans doute peut-on parler d’une thérapie par l’humour musical.

 

L’humour par le bruitage 

Séance de présentation-démonstration par un professionnel du bruitage (intervenant à confirmer)

 

Société française d'ethnomusicologie