Le fondateur de l’ethnochoréologie de la France vient de mourir à l’âge de 102 ans. Ce savant discret, d’une incomparable courtoisie, était tout sauf un homme d’appareil et, alors qu’il était un extraordinaire directeur de recherche et un grand animateur de séminaire, il était trop peu rompu au maniement des leviers institutionnels et trop distant des réseaux de sociabilité académiques pour faire durablement école. Ce qu’on doit regretter…
Ses études scientifiques (en SVT…) l’avaient amené à passer au double crible du doute cartésien et de l’analyse historique le répertoire de danses folkloriques qu’il avait appris dans un mouvement d’Éducation populaire. La volonté de confronter ce qui lui a été enseigné à la réalité de la pratique le conduit sur le terrain dès les années de l’Occupation. Sa pratique ethnographique durera près d’un demi-siècle : elle commence par un arpentage systématique de la Basse-Bretagne, quinze ans durant, puis, presque aussi longtemps du Béarn et du Pays basque. Il a encore enquêté, toujours avec sa femme, souvent avec ses enfants, en Berry, en Roussillon, en Vendée, dans les Landes et en Dauphiné, sans oublier sa participation à la RCP Aubrac.
Il laisse une œuvre publiée imposante, admirablement écrite : elle comprend d’abord les deux sommes où il fait bien plus que consigner les résultats de ses ethnographies de la danse traditionnelle bretonne ou basque. Sont venus ensuite un travail purement historique sur la contredanse française, un essai d’ethno-histoire sur le chant dans la danse et, voici moins de dix ans, un livre de synthèse. Il faut encore prendre en compte les articles, en nombre restreint mais à la pagination généreuse et tout aussi référentiels1.
Guilcher s’est inlassablement employé à démontrer, à partir de la pratique de la danse et du chant, l’autonomie – et non l’autarcie – des « anciens milieux ruraux », qui se sont approprié (ou non) les apports extérieurs et qui maîtrisaient à la perfection l’art de l’assimilation, de la réélaboration et de la variation, ce cocktail que d’autres, mais pas lui, nomment « tradition ». Ces communautés non pas immobiles mais qui se tiennent en position latérale au mainstream, il a dû en constater la fragilisation, le délitement puis l’effacement, y trouvant la justification la plus impérieuse à l’ethnographie d’urgence qu’il a menée aussi loin que possible. C’est un tombeau du peuple créateur, affranchi des élites, qu’il a composé, en humaniste, en pédagogue soucieux d’une maîtrise corporelle qui aide la personnalité de l’enfant à se structurer, ou encore en amateur de « belle danse ».
François Gasnault (IIAC-LAHIC, UMR 8177)