Cahiers d’ethnomusicologie n° 34, « Le timbre musical » (titre provisoire)
Appel à contributions
Le timbre musical, vocal comme instrumental, est une notion particulièrement complexe en même temps qu’elle est universelle. Tous les ethnomusicologues ont eu loisir de l’observer à travers leurs terrains, et parfois de l’analyser. Qu’il s’agisse des représentations locales du timbre et des outils descriptifs le caractérisant, de l’établissement éventuel de taxinomies timbriques vernaculaires et, à travers elles, de l’apparition de catégorisations esthétiques et culturelles reflétant le statut social, politique, religieux du sonore, ou qu’il s’agisse d’une quête personnelle des chanteurs et instrumentistes, ainsi que des procédés d’imitation ou au contraire d’altération du son, les angles d’approche sont nombreux, sans compter la dimension spécifique de certains timbres, et donc leur mobilisation dans certains discours identitaires autour de la notion d’authenticité et dans certaines menées contemporaines autour des problématiques patrimoniales.
Les communications pourraient se décliner autour des thèmes suivants :
• Le timbre, une notion complexe et relativement indéfinie.
Les musicologues définissent le timbre comme l’une des trois composantes du son, les deux autres étant la fréquence des sons (« hauteur » chez les musicologues) et leur intensité. Pourtant, le timbre n’est pas indépendant de ces deux autres paramètres sonores. La fréquence et l’intensité ont des effets directs sur le timbre, considéré comme une « couleur sonore ». Ainsi, historiquement, dans la langue française, un son « clair » conjuguait à la fois la puissance sonore et un registre plutôt aigu.
Comment la notion de timbre se conjugue-t-elle dans les diverses cultures musicales ?
Qu’en est-il de celle de « couleur sonore » ? Vient-elle en complément ? en substitution ? Constate-t-on le recours à des synesthésies dans des processus de transmission, de jeu ou de composition ?
• Le vocabulaire attaché à la notion de timbre.
Le timbre musical ne possède pas de descriptions terminologiques scientifiques, universelles, neutres. D’un point de vue linguistique, il n’est appréhendé qu’à travers des notions floues, descriptives ou sensorielles (renvoyant au toucher, à la vue et au goût). On dira d’un son qu’il est âpre, rugueux, lisse, suave, clair, etc.
Comment ce lexique se décline-t-il dans les diverses cultures et comment se répartissent ces discriminants du point de vue de ce qui est recherché ou réprouvé, licite ou illicite, etc. ?
• Anthropologie de la notion de timbre. Sémiologie et heuristique.
Le lexique attaché au timbre et les taxinomies qui en découlent reflètent aussi des jugements esthétiques qui prennent en compte le statut social, politique et religieux de certains sons et de certaines organisations sonores.
Qu’en est-il en particulier de l’homologie classique entre puissance sonore et puissance sociale et politique ? Qu’en est-il également de la fonction rituelle des timbres vocaux et instrumentaux « déformés » (par exemple la voix afillá gitane), ou des objets/procédés sonores utilisés comme « altérateurs de voix » ?
Dans quelle mesure peut-on dire localement qu’il existe une « grammaire symbolique » des sons ?
• La dimension esthétique du timbre.
Cet aspect peut être abordé sous un certain nombre d’angles (cette énumération est simplement indicative) :
— recherche par le musicien du « beau jeu » et du « beau son ». Réflexions autour des techniques mobilisées dans une approche qualitative du timbre (corporéité des chanteurs, gestuelle du musicien, tenues et jeux de l’instrument, etc.),
— science des réglages instrumentaux chez les musiciens, quête de nouveaux effets, de matériaux et procédés inédits,
— diversité timbrique d’ensembles instrumentaux organologiquement hétérogènes (comme le le broken consort de la musique baroque, par opposition au whole consort, constitué d’instruments de la même famille),
— rôle des « bruiteurs » (par exemple, anneaux métalliques vibrant en prolongement de la frappe de peaux ou du frottement de cordes…) ou des cordes « sympathiques » de certains cordophones (gadulka bulgare, rubab afghan, sitar indien, etc.). Comment ces éléments sont-ils considérés dans les diverses cultures et esthétiques musicales ?
• La dimension identitaire des timbres vocaux et instrumentaux.
Cet aspect de l’anthropologie de la notion de timbre rejoint celle de la notion d’authenticité. Dans de nombreuses cultures musicales, il existe des sons perçus comme spécifiques, soit dans certaines techniques vocales (nasalité, chants sur les harmoniques, jeux de gorge, jodel, etc.), soit dans certains sons instrumentaux qui résultent, au-delà des instruments eux-mêmes, des techniques de jeu qu’on y déploie.
Ce sentiment diffus ou explicite d’une certaine « distinction », qui fonde en partie le jugement d’authenticité, renforce le sentiment d’appartenance et se concrétise dans un certain nombre de discours et de programmes patrimoniaux.
La « sauvegarde » qui les justifie, peut être, selon les cas, reproduction stricte dans une optique de préservation ou au contraire s’inscrire dans une revitalisation qui intègrerait des formes diverses d’adaptation. Dans le domaine instrumental, le débat est parfois vif chez les facteurs d’instruments et musiciens, autour du choix de certains matériaux mais aussi de l’attitude à observer à l’égard d’instruments anciens, objets de patrimoine, pouvant faire office de référents culturels. Doit-on être dans la stricte reproduction des modèles anciens et de leurs modalités musicales, permettant de conserver en partie certaines particularités timbriques, ou doit-on s’adapter aux nouveaux contextes et modes de jeu (notamment collectifs), en optimisant le tempérament égal ou le volume sonore des instruments au détriment de leur richesse timbrique ?
Cette liste n’est évidemment pas limitative et il est très probable que de nombreuses autres thématiques émergeront des diverses futures contributions à ce numéro.
Note aux auteurs: https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/405
Les propositions de communication (titre + résumé d’une vingtaine de lignes) sont à envoyer avant le 1er juillet 2020 à l’adresse suivante : l.charles-dominique@wanadoo.fr