Donner de la voix : slogans, cris de foule et chants de manifestation
Le slogan est fréquemment cité comme un genre de discours politique et social doté d’une poéticité intrinsèque. Ainsi, dans sa célèbre conférence « Linguistique et poétique » qui clôt les Essais de linguistique générale, c’est un slogan électoral que Roman Jakobson utilise comme exemple de la « fonction poétique du langage ». À la suite des travaux de Léo Spitzer et de Charles Bally, la linguistique puis l’analyse des discours pour qui il ne faut pas considérer la langue littéraire dans une forme d’exception par rapport à un usage « normal » du langage, ont consacré un certain nombre d’études au slogan publicitaire et au slogan électoral. Les slogans contestataires et révolutionnaires, plus volontiers rapprochés de pratiques poétiques intentionnelles, font également l’objet d’une attention récente.
Si l’on rappelle fréquemment l’étymologie gaélique du terme slogan, issu de sluag-ghairn « cri de guerre d’un clan », les slogans en tant que performances poétiques orales restent peu étudiés, au regard de l’intérêt que peut susciter par ailleurs la question des graffiti du côté de l’anthropologie de l’écriture. Or, les slogans proférés constituent l’un des éléments les plus routinisés de l’action contestataire et militante, un moment fort de l’action collective, qui se situe sur une ligne de crête entre performance polyphonique poétique et dispositif de sensibilisation dans le cadre d’une communication politique locale. On s’appuiera sur la définition qu’en donne l’ethnomusicologue Jaume Ayats : « […] qu’est-ce qu’un slogan ? Une locution qui tire ses caractéristiques de l’usage effectif dans l’acte social : une locution proférée collectivement dans le cadre d’une forme d’autonomie linguistique, d’une transmission minimale “d’information”, mais représentant la constitution et la force d’un groupe. D’où sa forme : message achevé, non ouvert au dialogue, qui agit toujours comme une citation en procès continu de recréation, chargé de références de groupe et apte au plaisir de la locution collective. Le résultat est la structure décrite dans la première partie de ce texte, construction polyphonique dans le temps, fondée sur le jeu des différents niveaux de l’énonciation orale ; production poétique par excellence. » (Ayats 1992 :358)
Ces performances sont à la croisée d’enjeux divers, qui appellent des études précises prenant en compte à la fois leurs contextes de production et de réception : quel rôle jouent ces performances dans le cadre des mobilisations collectives ? Quels liens entretiennent-elles avec des répertoires culturels et littéraires, écrits et/ou oraux qu’elles remettent en circulation ? Quelles logiques de création président à ces performances et en particulier quelles chaînes graphiques leur préexistent ou non ? À quelles pratiques de documentation et d’archivage donnent-elles lieu ? Quelles sont enfin les vies ultérieures de ces performances lorsqu’elles sont textualisées et qu’elles circulent hors de leur scène d’énonciation initiale ? Qu’advient-il lorsqu’elles sont réappropriées dans d’autres contextes politiques et/ou créatifs ?
Ce numéro invite les contributeurs et contributrices à s’intéresser aux dynamiques de ces performances éphémères et des productions poétiques qui en découlent. Les slogans et chants de manifestations, objets protéiformes, peuvent faire l’objet d’études croisées, prêtant attention à la fois aux contenus, aux matérialités pour décrire et analyser les enjeux tout à la fois pragmatiques et politiques de ces performances orales polyphoniques. De même, des perspectives historiques sur les genres de la profération politique seront les bienvenues.
Les résumés sont à envoyer pour le 15 mai (mais les envois tardifs seront acceptés…), pour une remise des articles le 15 janvier 2022
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