Appel à contributions
« Écouter la danse »
Cahiers d’ethnomusicologie n°38, 2025
Le numéro 38 des Cahiers d’ethnomusicologie propose un dossier sur la danse, souhaitant contribuer au développement des liens épistémologiques et méthodologiques ouverts par l’ethnomusicologie et l’anthropologie de la danse. L’interrelation entre son et mouvement paraît si cruciale qu’elle appelle à approfondir le dialogue des études de la musique avec les études sur la danse qui reposent sur l’analyse qualitative des gestes1 ou qui entendent déployer une « anthropologie du mouvement » ancrée dans les expériences sensibles et motrices2. Les entrecroisements féconds entre ces deux champs d’étude, sans renier leurs spécificités, ont trouvé écho chez plusieurs générations de chercheurs et chercheuses3. Pour l’ethnomusicologie, lorsque la fin de la prédominance de l’enregistrement sonore a notamment fait la place aux approches analytiques centrées sur la performance, la musique a retrouvé ses propriétés interactionnelles et sensori-motrices. C’est à cet endroit que le dialogue avec les anthropologues de la danse s’est fait plus nécessaire, tout en méritant d’être encore approfondi.
Sans volonté d’exhaustivité et pointant volontairement des thématiques très larges, cet appel veut laisser la place à des contributions issues de l’ethnomusicologie, de l’anthropologie, des études en danse, des études culturelles, de la philosophie, de l’histoire et de la sociologie, portant sur des pratiques dansées issues des contextes socioculturels les plus variés. Les articles pourront être non seulement ethnographiques, centrés sur des études de cas et sur l’analyse du matériau dansé, mais aussi méthodologiques ou théoriques.
Notre intérêt se porte sur les approches qui traitent de la dimension sensible, corporelle, relationnelle, émotionnelle et esthétique des performances dansées. En (re)produisant des représentations sociales et culturelles et en suscitant des transformations individuelles et collectives, elles produisent des idées, des savoirs, des émotions et des relations. Comment saisir les spécificités des interactions entre les participant·es, les musicien·nes et les danseurs et danseuses, ainsi qu’avec des entités autres (divinités, forces de la nature, présences invisibles) ? Comment la danse assigne-t-elle des places dans la société tout comme elle a la capacité de les subvertir ou de les transformer ? Comment crée-t-elle un certain rapport au passé ou des formes de projection vers l’avenir ? Pourront ici trouver leur place des articles qui interrogent la relation de la danse à la mémoire, à l’action rituelle, à la croyance et à la dévotion, aux processus de construction politique, à la reformulation des rapports sociaux de race, de classe et de genre, au territoire ou encore aux questions de circulation et de réappropriation culturelles.
Nous cherchons également à susciter une réflexion sur les manières, aussi diverses qu’inattendues, dont se noue la relation entre danse et musique, trop souvent présentée comme allant de soi, ou qui a plutôt fait l’objet de réflexions centrées sur l’histoire occidentale4. Cette question est liée à celle des méthodes d’analyse de la musique et de la danse, qu’elles soient sémiotiques, centrées sur le faire ou sur les questions du sentir. Comment regarder, écouter et analyser la musique et la danse ? Il s’agira aussi d’envisager les formes d’intersection qui composent la multisensorialité de ces pratiques. Quelles sont les spécificités des interactions entre geste musical, geste dansé, éléments visuels et dispositifs spatiaux-temporels ? Comment les mouvements produisant du son, que ce soit par le souffle, les chutes, les appuis ou les frottements, participent-ils de la performance et de ses environnements sonores ? Quelles transcriptions et modes d’écritures inventives permettent de rendre ces expériences intelligibles ?
Ce lien entre danse et musique pourra aussi être abordé au sein des processus de création et de transmission. En miroir à la « musicalité du geste »5, comment se déploie la corporéité du son ? Comment crée-t-on des actes de danse sur des sons et comment le cinétique produit il aussi des effets sur la musique, d’un point de vue formel, relationnel et performatif ? Comment la musique permet-elle de se mouvoir et de « se mettre en danse » et impulse-t-elle des circulations dans l’espace, une temporalité, des sensations physiques et des états du corps spécifiques ? Quelle « connivence » est à l’oeuvre entre celui ou celle qui joue et celui ou celle qui danse6 ?
On pourra également prolonger ces questions du point de vue des musicien·nes, danseurs et danseuses, et se demander comment se distribuent la légitimité et l’auctorialité lorsque ces savoir-faire sont différenciés ? Comment saisir les valeurs qui leur sont associées et parfois articulées à des questions d’appartenance sociale, raciale ou de genre ? Quelles sont les relations de travail et les logiques économiques entre les musicien·nes et les danseurs et danseuses qui produisent ces « langages » respectifs dans des contextes sociaux, artistiques et culturels spécifiques ? Quelles sont les logiques créatives hiérarchisées et distribuées, ou au contraire totalement imbriquées, entre danse et musique ?
Il s’agira ainsi de saisir les frictions, les fusions, les pactes, les interstices ou les frontières qui émergent et se dessinent entre les pratiques musicales et dansées, pariant que leurs effets ont beaucoup à nous apprendre sur les transformations des différents mondes de la danse et leurs modes de fonctionnement.
Conditions de soumission
Les propositions, de 500 à 1000 mots, devront détailler le propos et la construction de l’article et être accompagnées d’une bibliographie indicative. Elles doivent être envoyées avant le 15 novembre 2023 aux coordinatrices de ce numéro, Laura Fléty et Clara Biermann : laura.flety@gmail.com ; clara.biermann@gmail.com.
Nous rappelons que les articles dans les Cahiers d’ethnomusicologie doivent être de 30 000 à 40 000 caractères maximum, espaces compris (bibliographie et notes inclues). Les illustrations notamment photographiques (libres de droits) sont les bienvenues et les documents audios et audiovisuels en lien avec l’article également, qui peuvent être hébergés sur le site des Ateliers d’ethnomusicologie (voir la Note aux auteurs : https://adem.ch/fr/publications-cahiers-dethnomusicologie-note-aux-auteurs).
1 Voir notamment Rudolf von Laban, La maîtrise du mouvement, [1950] 1994, Arles : Actes Sud ; Angela Loureiro, Effort : l’alternance dynamique, 2013, Villers-Cotterêts : Ressouvenances ; Christine Roquet, Vu du geste : interpréter le mouvement dansé, 2019, Pantin : Centre national de la danse.
2 Voir Deirdre Sklar, « On dance ethnography », 1991, Dance Research Journal 23 (1), pp. 6-9 ; Jean-Michel Beaudet et Laura Fléty, « Introduction. Qui danse quoi ? Pour une anthropologie du mouvement », 2021, Ateliers du LESC n°50. En ligne : https://journals.openedition.org/ateliers/14796#ftn13
3 En 2011, les journées d’études de la Société française d’ethnomusicologie intitulées « Musique et danse : pas de deux pour l’ethnomusicologie. Ethnomusicologie/anthropologie de la danse, échanges et perspectives » ont réaffirmé les affinités entre ces deux disciplines. L’atelier « La danse comme objet anthropologique », créé par Michael Houseman et Georgiana Wierre-Gore en 2005, constitue également un lieu où s’est déployé ce dialogue.
4 Voir notamment le numéro « Gestes et mouvements à l’oeuvre : une question danse-musique, XXe-XXIe siècles », Filigranes. Musique, esthétique, sciences, société, n° 21, 2016, Olga Moll, Christine Roquet et Katharina Van Dyck (coord.). En ligne : https://revues.mshparisnord.fr/filigrane/index.php?id=774
5 Bolens Guillemette, « Comment lire la musicalité du geste ? », Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société., 2016, n°21. En ligne : https://revues.mshparisnord.fr/filigrane/index.php?id=804
6 Giurchescu Anca, « Le danseur et le musicien, une connivence nécessaire », 2001, Cahiers d’ethnomusicologie n° 14, pp. 79-94.