Appel à communications : «S’engager autrement » 5ème Journée d’étude de l’AJPB
Jeudi 17 janvier 2013 – Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux
Avec le soutien de l’IEP de Bordeaux, du Centre Emile Durkheim et Les Afriques dans le Monde.
Face aux mutations du monde contemporain, les formes dites traditionnelles de l’engagement ne sont plus perçues comme des voies évidentes pour s’investir publiquement sur des questions sociales ou politiques. L’abstention, la volatilité électorale[1], le discrédit des hommes politiques[2], la désaffection des organisations politiques, syndicales, voire associatives[3] témoigneraient de ce changement. Si cela peut être perçu comme un recul de l’engagement, les discours médiatiques ou des acteurs eux-mêmes revendiquent l’idée de s’engager autrement. Ils parlent même de « nouvelles » formes d’engagement à travers, par exemple, la participation aux flash mobs[4], les mobilisations des « sans »[5], l’utilisation d’internet dans les militances des diasporas[6] ou des « partis pirates », la mise en place de budget participatif[7] ou de jury de citoyens[8]. « Un mouvement de fond, venu de la société civile, se dessine, qui réclame d’autres “modalités de participation” que celles qui existaient jusqu’ici et qui passaient par les instances que sont le Parlement, les syndicats, les partis politiques et les associations »[9].
Cette journée d’étude entend questionner cette « nouveauté ». Peut-on réellement parler de « nouvelles formes d’engagement » ? Suffit-il d’utiliser des technologies de pointe[10], des répertoires d’action novateurs dans des revendications individuelles ou collectives non institutionnelles pour créer de « nouvelles formes d’engagement » ? Laurence Bhérer nous avertit qu’«en matière de démocratie, l’histoire nous apprend en effet que le désenchantement démocratique est non seulement une constante, mais également un élément moteur et consubstantiel de la démocratie»[11].
Au-delà des discours se basant sur une rhétorique de la « nouveauté » comme stratégie de communication, les formes d’engagement qualifiées de « nouvelles » semblent pourtant conserver bien des points communs avec celles dites « traditionnelles ». Certes, certains auteurs ont mis l’accent sur les changements : « ce refus d’une certaine unification de la pensée, ce besoin de liberté de parole, cette absence, pourrait-on dire, de fidélité absolue au parti, tout cela traduit bien les changements de sens de l’engagement politique »[12]. Jacques Ion souligne d’ailleurs l’émergence d’un esprit critique des militants envers les institutions, n’induisant plus un engagement « corps et âme », mais plutôt « un engagement distancié »[13]. Cette évolution n’est-elle pas qu’une partie d’une composante d’un ensemble de tendances qui s’avèrent parfois contradictoires ? Jacques Ion a d’ailleurs précisé sa pensée par la suite en soulignant la « coexistence de formes multiples d’engagement »[14].
L’idée est d’explorer les formes « autres » de l’engagement en se détachant d’une certaine vision cristallisée de la notion et en privilégiant les pratiques, constamment recréées en fonction des situations. Le concept d’engagement lui-même peut d’ailleurs être entendu de manières différentes. Nous souhaitons ici approfondir les divers sens qu’il recouvre et les réflexions théoriques qu’il sous-tend. La langue anglaise emploie d’ailleurs deux termes différents que l’on traduit en français par le même mot. Involvement peut être compris soit comme commitment, c’est-à-dire parole donnée, engagement comme mise en gage de soi par l’acteur social, soit comme attachment, c’est-à-dire « engagement corps et âme ». Plusieurs auteurs ont d’ailleurs questionné ces terminologies du langage courant en proposant une réflexion sur les sens donnés à ce terme[15]. En l’abordant à travers l’examen de cas revendiqués comme différents par les acteurs ou de ce que Denis-Constant Martin appelle des « objets politiques non identifiés »[16], il s’agit d’explorer ce qui se joue dans des manières de concevoir, d’exprimer et d’agir politiquement autres. L’ « autrement » se laisse ainsi saisir au regard de pratiques engagées, intimement imbriquées aux formes d’investissement au monde que les personnes mobilisent plus spontanément dans leur quotidien (activités professionnelle, artistique, numérique, etc.).
Cette journée d’étude envisage de mener une réflexion élargie autour de la notion d’engagement politique en ouvrant le dialogue entre les disciplines, mais aussi les terrains, du Sud comme du Nord, au-delà d’un ancrage souvent marqué par les aires géographiques. Nous invitons ainsi les chercheurs à discuter de cette thématique en fonction de deux axes qui guideront notre réflexion.
AXE 1. Vie quotidienne et pratiques culturelles
Vécu en dehors des formes institutionnelles, l’engagement peut prendre différents aspects et peut se vivre aussi bien dans la vie de tous les jours, dans son comportement de consommateur par exemple, ou au travers de choix culturels ou artistiques.
1. Questionner l’engagement au quotidien
Manger bio, appartenir à une AMAP[17], écouter du reggae ou faire de la kora[18] sont autant de pratiques du quotidien qui ne sont pas anodines et qui peuvent, ou non, s’accompagner d’un discours construit et réfléchi de la part des acteurs. Ne pas prendre sa voiture pour se déplacer, réduire ses déchets, faire attention à son alimentation sont autant d’actions qui posent la question des formes d’engagement individuel. S’agit-il d’actions engagées et « alternatives » aux yeux des acteurs ? Quels discours utilisent-ils pour justifier ou injustifier ces pratiques comme engagements sociaux ou politiques et comme « autres » ? Quels sont les effets produits par ces discours sur les modalités d’engagement ? En outre, dans le monde actuel où image, son et vidéo se confondent, comme le présente le concept « d’intermédialité »[19], être informé est bien plus aisé. Mais l’information n’est pas neutre, il est important de se poser la question de la manière dont les médias induisent des approches émotionnelles particulières, en fonction des informations qu’ils livrent. Par conséquent l’engagement est-il toujours libre ? L’engagement est-il l’objet d’un compromis entre conformisme et convictions personnelles ? Ne peut-on pas y voir, aussi, une « utopie » de changement de « sa vie à soi », ou de son groupe d’appartenance, sans vision de changement politique au sens classique ?
2. Pouvoir symbolique et engagement musical
Composée par la russe Anna Marly, puis reprise par la résistance pendant la seconde guerre mondiale par Joseph Kessel et Maurice Druon, le chant des partisans a connu encore une autre vie sous le titre « Motivé-e-s » repris par le groupe éponyme en 1997. La musique n’est pas un langage en tant que tel, mais elle a un pouvoir de symbolisation à l’image de cette chanson. Si une chanson n’a pas la faculté de changer les choses, elle peut en revanche témoigner d’une envie, d’un besoin de changement social. On entend souvent parler de « chansons engagées » ou d’« artistes engagés ». En quoi la création artistique (musique, peinture, cinéma, etc.) permet-elle un engagement ? Plus largement, comment la pratique culturelle peut-elle revêtir une quelconque forme d’engagement ? Sous quelles conditions proposer des cours de danse africaine, de steel drum, appartenir à une batucada ou assister à un concert de soutien pour les sans-papiers, peuvent-ils être des formes d’engagement ?
AXE 2 : S’engager sur internet
De la victoire du « non » lors du référendum sur le traité constitutionnel européen en mai 2005 aux Révolutions arabes, Internet semble jouer un rôle de plus en plus important dans les engagements collectifs non institutionnels. La structure réticulaire du réseau « entretiendrait ainsi une sorte d’affinité structurelle avec le mouvement anti-mondialisation, peu structuré, engagé dans des logiques de projets, fortement mobile dans le choix de ses cibles et de ses modes d’actions »[20]. Le développement récent du Web 2.0 (censé permettre une communication horizontale et plus d’interactivité) et des médias sociaux comme Facebook ou Twitter nous invitent à questionner l’engagement sur la Toile. Est-ce qu’internet permet de s’engager autrement ?
1. Mutations de la figure de l’intellectuel engagé avec le Web 2.0
De l’ « intellectuel spécifique » caractérisé par Foucault au bloggeur influent, la figure de « l’intellectuel engagé » semble perdre de sa prégnance. Tous les citoyens connectés peuvent désormais réagir en ligne en postant un commentaire, en twittant, en alimentant leur propre blog. Avec le développement du Web 2.0, de nouveaux acteurs ont su saisir les potentialités du Net pour mettre en scène leurs idées, exister dans l’agenda politique, contribuer aux discours politiques, voire critiquer des instances plus formalisées à tel point que les règles du jeu politique pourraient s’en trouver modifiées. En quoi se trouvent « perturbées » les organisations administratives, politiques, partisanes traditionnelles?
Peut-on considérer le bloggeur influent comme la « version 2.0 » de l’intellectuel engagé ? Est-il plus facile de s’engager sur Internet ? Afficher ses opinions sur un blog, signer des pétitions ou participer à des débats en ligne, est-ce déjà une forme d’engagement ? L’engagement sur le réseau est-il forcément ponctuel ?
2. Dissolution des frontières entre sympathisants, militants, adhérents
Les travaux fondateurs de l’analyse des partis politiques[21] soulignent la difficulté à circonscrire les contours du « militant ». En 1951, déjà, Maurice Duverger soulignait la difficulté, voire l’impossibilité de connaître un « taux de militantisme exprimant en pourcentage le nombre des militants par rapport à celui des adhérents »[22]. Cette difficulté réside dans «l’imprécision de la catégorie qu’il s’agit de dénombrer »[23]. Comment différencier les militants des simples adhérents, des permanents, des cadres, voire même des élus ? La difficulté s’accroît encore avec l’arrivée du Web 2.0 et les formes alternatives d’engagement qui se constituent dans les interstices des formes plus traditionnelles. Le Web 2.0 vient-il redéfinir les contours des catégories classiques de l’engagement politique ? Peut-on parler d’une dissolution des frontières entre sympathisants et militants ? Le recours massif aux TIC pendant les campagnes électorales a-t-il des effets sur l’engagement partisan ? Permettrait-il un renouveau de l’engagement civique ? Une réflexion sur le profil sociodémographique de ces « sympathisants engagés » serait également bienvenue.
Par ailleurs, le développement d’internet offre de nouvelles opportunités d’action et d’intervention dans des débats nationaux pour des acteurs géographiquement éloignés, tels que les diasporas. Quel rôle peuvent alors jouer les diasporas de manière générale et notamment dans les pays en voie de démocratisation ?
MODALITES DE SOUMISSION ET SELECTION
Cet appel à communications s’adresse en priorité aux jeunes chercheurs : doctorants, jeunes docteurs et postdoctorants. Les propositions de contribution (2 pages au maximum) doivent être adressées aux organisateurs (contact.ajpb@gmail.com) au plus tard le 1er octobre 2012. Elles doivent comporter une présentation de la problématique, du terrain étudié et du protocole d’enquête mis en place.
Les résultats de la sélection seront transmis le 15 octobre 2012. Les contributions, d’une longueur maximale de 60 000 signes (bibliographie comprise), devront parvenir au comité le 10 décembre 2012 au plus tard, afin de permettre aux discutants de travailler sur les textes.
Calendrier :
1er octobre : date limite d’envoi des propositions
15 octobre : retour des évaluateurs
10 décembre : rendu des versions finales des papiers des auteurs sélectionnés
17 janvier 2013 : journée d’étude
Comité d’organisation : Audrey Alejandro, Clément Arambourou, Perrine Bonvalet, Elodie Escusa, Armelle Gaulier, Larissa Kojoué, Neil Lopes, Adrien Mazières-Vaysse, Cindy Morillas, Clélie Nallet, Emmanuel Rivat, Céline Ségalini, Anaïs Theviot (doctorants, Centre Emile Durkheim-UMR 5116/Les Afriques dans le Monde-UMR 5115, Université de Bordeaux).
[1] CHADWICK A., Internet Politics : States, Citizens, and New Communication Technologies, New York, Oxford University Press, 2006.
[2] DOGAN M., « Méfiance et corruption : discrédit des élites politiques », Revue internationale de politique comparée, n°3, Volume 10, 2003, p. 415-432
[3] PUTNAM R., Bowling Alone : The Collapse and Revival of American Community, Broché, 2000
[4] SHUKAN T., « Le flash mob : forme privilégiée des jeunes contestataires en Biélorussie », Raisons Politiques, n°29, 2008, p. 9-21.
[5] MOUCHARD D., « Les mobilisations des ‘‘sans’’ dans la France contemporaine : l’émergence d’un ‘‘radicalisme autolimité’’ ? », Revue française de science politique, vol.52, n°4, 2002, p.425-447.
[6] LECOMTE R. « Internet et la reconfiguration de l’espace public tunisien : le rôle de la diaspora », Tic&société, vol. 3, n°1-2, 2009, http://ticetsociete.revues.org/702
[7] SINTOMER Y., HERZBERG C. et ROCKE A., Les budgets participatifs en Europe. Des services publics au service du public, Paris, La Découverte, 2008
[8] « La caractéristique première de certains des dispositifs nouveaux de participation politique qui se mettent en place aujourd’hui dans nos démocraties (conférences de consensus, jurys de citoyens…) et ce, quelles que soient leur effectivité et leur influence sur la décision, est bien de promouvoir un ‘‘citoyen ordinaire’’, sans qualité, sans information ou expertise particulières, et de construire du jugement collectif à partir de cette matière »
BLONDIAUX L., « Faut-il se débarrasser de la notion de compétence politique ? », Revue française de science politique, vol.57, n°6, 2007, p. 759-774
[9] MONNOYER-SMITH L., « Internet, un outil au service de la démocratie ? », Le journal du CNRS, Dossier Mondialisation, politique, technologies numériques…Les enjeux scientifiques de la communication », n°231, Avril 2009, p 6
[10] BASTIEN F., GREFFET F., « Plus ça change, plus c’est pareil ? Le Web et les partis politiques au Québec et en France ». Communication visuelle présentée à l’Association canadienne de science politique, Vancouver, 4-6 juin 2008
[11]BHERER L., « Les promesses ambiguës de la démocratie participative », Éthique publique, vol. 7, no 1, 2005, p. 82-90
[12] QUENIART A. et JACQUES J., « L’engagement politique des jeunes femmes au Québec : de la responsabilité au pouvoir d’agir pour un changement de société », Liens social et politique, n°46, automne 2001, p.45-53 http://id.erudit.org/iderudit/000322ar
[13]ION J., La fin des militants ? Paris, Les Éditions de l’Atelier/Éditions ouvrières, 1997. Voir aussi ION J.,FRANGUIADAKIS S. et VIOT, Pascal, Militer aujourd’hui, Paris, Éditions Autrement, 2005.
[14] ION J., « Introduction », in J. Ion (dir.), L’engagement au pluriel, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2001, p. 11.
[15]BECKER H.-S., « Sur le concept d’engagement », SociologieS, Découvertes / Redécouvertes, Howard Becker, mis en ligne le 22 octobre 2006 http://sociologies.revues.org/642
ION J., « Interventions sociales, engagement bénévoles et mobilisation des expériences personnelles », in Jacques Ion et Michel Peroni, Engagement public et exposition de la personne, La Tour d’Aigues, Ed. de L’aube, 1997.
MATHIEU L. « Un nouveau militantisme. A propos de quelques idées reçues ». Contretemps, 2009 http://www.contretemps.eu/socio-flashs/nouveau-militantisme-propos-quelques-idees-recues
[16]MARTIN D.-C., « Les OPNI, l’essence du pouvoir et le pouvoir des sens ? » in : Sur la piste des OPNI (Objets politiques non identifiés), Paris, Karthala, 2002
[17] Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne
[18] Instrument de musique d’Afrique de l’Ouest
[19] WHITE B., « Rumba patriotique : Intermédialité et narrativité dans les clips vidéo à Kinshasa », Communication lors de la journée d’études internationales « Outils et supports technologiques de la création musicale : nouvelles approches », Paris, EHESS, 4 mai 2012
[20] CARDON D., GRANJON F., « La radicalisation de l’espace public par les média-activistes. Les pratiques du Web lors du second Forum social mondial de Porto Alegre », Communication au VIIe Congrès de l’Association française de science politique, Table-ronde « La radicalisation politique », Lille, 18-21 septembre 2002
[21]OFFERLE M., Les partis politiques, Paris, PUF, 2002 [1987] ; DUVERGER M., Les partis politiques, Paris, Armand Colin, 1976 (10ème Ed.)
[22]DUVERGER M., Les partis politiques, Paris, Armand Colin, 1976 (10ème Ed.), p.175
[23] Idem, p.175